Politique et société

« Loi Duplomb : un débat chaotique qui passe à côté des vrais sujets »

TRIBUNE - Alors que la polémique enfle autour de la loi Duplomb, Pierrick Horel appelle à sortir du clivage stérile entre agriculture et écologie. Pour le président de Jeunes Agriculteurs, seule une planification agricole ambitieuse permettra de répondre aux bouleversements climatiques.

Par Pierrick Horel, président de Jeunes Agriculteurs

 

Pierrick Horel, président de Jeunes Agriculteurs au Congrès 2024 à Poitiers.

L'agriculture est devenue un symbole, un totem sacré, brandi à droite comme à gauche, sur lequel chacun projette ses fantasmes et ses colères. On ne débat plus, on s'affronte. On ne construit plus, on clive : d'un côté ceux qui n'en ont « rien à péter » de la situation des agriculteurs, de l'autre ceux qui n'en ont rien à faire des normes environnementales. Chaque problématique agricole devient ainsi un champ de bataille idéologique. 

La réforme de la PAC, les produits phytopharmaceutiques – aujourd'hui l'acétamipride, hier le glyphosate –, le stockage de l'eau, la place de l'élevage, les zones de non-traitement, ou même la présence de panneaux photovoltaïques : tout se transforme en guerre de tranchées visant à opposer agriculture et écologie dans un débat qui se radicalise.

Cette totémisation empêche le débat de fond et nuit à la capacité collective d'affronter les vrais enjeux. Le monde agricole n'a pourtant plus le luxe d'attendre. Sécheresses, inondations, stress hydrique, migrations de cultures vers le nord : le changement climatique est là, ravageur et inévitable. La vraie fracture n'est pas entre le bio et le conventionnel, entre circuit court et export. Elle est entre l'immobilisme et la transition.

Il est temps d'aller de l'avant et d'entrer dans une nouvelle phase, celle d'un pacte agricole fondé sur la réorganisation des filières, la planification territoriale, la valorisation du revenu agricole, le tout porté par une vision d'avenir.

Réveiller l’esprit de planification

La France a su, par le passé, bâtir de grandes politiques agricoles stratégiques. Aujourd'hui, face à l'instabilité climatique et géopolitique, elle doit renouer avec cet esprit de planification. Non comme une injonction descendante, mais comme un cadre d'adaptation collective, construit avec l'État, les collectivités, les agriculteurs et les filières. Cette planification doit prendre la forme de plans d'avenir agricoles, de finalités à l'échelle des bassins de production. Loin d'un modèle unique, ces plans doivent partir du terrain et répondre à ces questions essentielles : que produire prioritairement, pour quelles voies de valorisation ? Quelles seront les conditions climatiques à quinze ou vingt ans ? Quelles cultures seront menacées ou plus propices ? Faut-il diversifier, réorganiser, déplacer des filières ou en faire émerger de nouvelles ? Basés sur un diagnostic complet, les plans devront aussi intégrer les contraintes logistiques, les perspectives démographiques du territoire et les enjeux fonciers.

De ces plans doivent découler des contrats d'avenir agricoles, engageant les pouvoirs publics, les filières et l'agriculteur autour d'objectifs concrets : diversification, adaptation des systèmes aux stress climatiques, sécurisation des approvisionnements, protection des ressources, amélioration du revenu agricole… Ces contrats ne doivent pas être de simples déclarations d'intention, mais des engagements mutuels assortis de moyens financiers conséquents. Une telle approche permet aussi de répartir la valeur et le risque. En organisant les filières sur le temps long et sur la base de contrats durables, les agriculteurs gagneront en visibilité et en stabilité économique. Plus important encore, elle évite que l'adaptation soit vécue comme une injonction solitaire ou comme un saut dans l'inconnu.

Un pacte agricole fondé sur la confiance et l'avenir

Disons-le clairement, cette planification agricole ne peut réussir qu'en s'appuyant sur les agriculteurs eux-mêmes. Non comme de simples exécutants de politiques publiques, mais comme des acteurs stratégiques capables non seulement de produire pour nourrir la population, mais aussi de façonner et de faire vivre les territoires. Leur connaissance du terrain, leur capacité d'innovation, leur attachement à leur métier et à leurs terres sont des leviers puissants à condition qu'on leur redonne les moyens d'agir et de se projeter. Donner des perspectives nouvelles est nécessaire pour installer et renouveler les générations d'actifs agricoles dans un contexte démographique dégradé. Nous devons massivement investir dans l'installation et la transmission, avec un objectif clair : accompagner 10 000 jeunes agriculteurs à s'installer chaque année. C'est cette nouvelle génération qui portera l'adaptation de notre agriculture face au changement climatique.

Un projet agricole à hauteur de siècle

L'heure n'est plus aux totems. L'heure est au courage. À la stratégie et à l'action. Ce que nous appelons, ce n'est pas une réforme de plus mais un projet agricole à hauteur de siècle qui donne de la lisibilité, du sens et du souffle. Un projet fait de planification, de dialogue, de contrats et de confiance. Un projet qui fait de l'agriculture le socle vivant de notre souveraineté nationale. À condition, bien sûr, que le courage et la vision politiques l'emportent enfin sur les postures.