Politique et société

Souveraineté et planification : quatre regards croisés

Réunis à Auch lors du 58ᵉ congrès de Jeunes Agriculteurs, quatre personnalités aux profils complémentaires ont croisé leurs regards sur l’avenir de la planification agricole et de la souveraineté alimentaire.

Table ronde sur l’avenir de la planification agricole et de la souveraineté alimentaire..
La ministre s’appuie sur les travaux de Serge Zaka pour illustrer son propos. CP: Christophe Soulard.

Des images pour planter le décor. Avant de plonger dans le débat, les intervenants ont été invités à projeter des images symboliques de leur vision de la souveraineté alimentaire. « Le dérèglement climatique a un impact profond. C’est sans doute aujourd’hui la première cause de baisse du revenu des agriculteurs », a introduit la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, en projetant des visuels frappants montrant le dérèglement climatique et son effet sur la productivité du blé. Yves Madre, président de Farm Europe, a quant à lui mis l’accent sur les tensions géopolitiques liées au retour annoncé de Donald Trump et la nécessité « d’augmenter de 25% la production de biomasse pour soutenir la transition énergétique. Une urgence qui rejoint la question agricole européenne : produire plus, différemment, mais produire tout de même », défend-il. Du côté des territoires, Philippe Dupouy, président du conseil départemental du Gers, a montré le symbole d’un abattoir « dernier du département, sauvegardé de justesse. Sans lui, les éleveurs devaient faire abattre leurs bêtes à plus de 100 km », a-t-il rappelé. Une souveraineté qui s’incarne dans les infrastructures de proximité.

Planification : entre vision nationale et ancrage territorial

Sur la question de la planification, les nuances n’ont pas tardé à émerger. Si chacun reconnaît la nécessité de se fixer des caps, les moyens et échelles divergent. « La planification doit rester souple et adaptée aux réalités des territoires », a insisté Philippe Dupouy. Pour l’élu gersois, impossible de dupliquer une feuille de route nationale ou européenne sur l’ensemble des campagnes. La commande publique, locale et responsable, est selon lui un levier à ne pas sous-estimer. « C’est un des seuls leviers agricoles du département. » Yves Madre a quant à lui préféré le terme d’“outils à disposition” plutôt que celui de planification, qu’il juge trop rigide. Car « le pas de temps est court d’ici 2030. L’Europe doit se montrer cohérente et agile », a-t-il souligné. La ministre, elle, a évoqué la mise en place d’un « plan Méditerranée », pour répondre aux enjeux spécifiques des territoires déjà en tension climatique. Une forme de planification par zone, pour anticiper la mutation agricole à l’échelle régionale.

Souveraineté : nourrir ici et ailleurs

Le terme « souveraineté alimentaire » a fait consensus sur un point, « il ne s’agit plus uniquement de nourrir la population française ». Il est aussi question de géopolitique et de stabilité mondiale. Agnès Pannier-Runacher l’a rappelé sans détour : « C’est aussi nourrir des zones où nous avons des intérêts géopolitiques. C’est conforter notre vocation exportatrice. » Une souveraineté qui se penche dans les deux sens, en d’autres termes « assurer l’autonomie, mais également préserver les marchés ». Une ligne partagée par Yves Madre, pour qui l’exportation est aussi un pilier stratégique de la souveraineté. « Il faut préserver nos parts de marché pour que l’UE reste une puissance mondiale. » Mais cette ambition se heurte aux réalités du terrain. Pour Philippe Dupouy, la souveraineté ne se décrète pas depuis Bruxelles ou Paris : « elle se construit dans les cantines, dans les fermes et dans les abattoirs. Il faut reprendre la main sur les outils de production et relocaliser certaines filières. »

Compétitivité et équité : les conditions du succès

Crédit : Christophe Soulard

Tous les intervenants ont pointé une contradiction. Comment parler de souveraineté sans garantir aux agriculteurs des conditions de concurrence équitables ? «Nous ne pouvons pas accepter que des produits importés ne respectent pas nos standards environnementaux et sanitaires », a insisté la ministre. Elle milite pour le renforcement de la DGCCRF[1] pour qu’elle soit en capacité d’effectuer rigoureusement les contrôles et des clauses miroir au niveau européen. Yves Madre a préféré le terme de « réciprocité » à celui de clauses miroir ; selon lui « plus efficace et équilibré à l’échelle européenne ». Estimant qu’il existe plusieurs niveaux dans la problématique de la concurrence déloyale.

 

[1] La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes est une administration française.

Le débat a naturellement glissé vers les moyens de production et les entraves réglementaires. Agnès Pannier-Runacher a évoqué la proposition de loi Contraintes et l’exigence d’un principe de « pas d’interdiction sans solution ». Elle a notamment interrogé : « Pensez-vous que les industriels vont investir dans des alternatives à l’acétamipride pour 300 producteurs de noisettes ? » Pour elle, les NBT/NGT (nouvelles techniques de sélection) sont une piste à explorer, à condition d’en faire un levier responsable.