Politique et société

Souveraineté alimentaire : un cap pour la jeunesse agricole

Lancée à Rungis le 8 décembre, les conférences de la souveraineté alimentaire ouvrent un vaste chantier national. Elles posent les bases d’un plan de production et de transformation à dix ans, pensé pour sécuriser l’alimentation du pays et offrir un cap clair aux Jeunes Agriculteurs, au cœur de cette reconquête.

Conférences de la souveraineté alimentaire le lundi 8 décembre 2025 à Rungis.

Une méthode inédite pour anticiper l’avenir agricole. Annoncées dans le sillage de la loi d’orientation agricole promulguée en mars 2025, les Conférences de la souveraineté alimentaire constituent un exercice nouveau : bâtir collectivement une stratégie nationale de production et de transformation à horizon 2036. Ludovic Spiers, nommé coordinateur général, résume l’ambition : « partir de la demande du consommateur, des débouchés et de leurs volumes, et remonter la chaîne de valeur jusqu’à l’amont agricole ». Une approche inverse de celle traditionnellement pratiquée, pensée pour clarifier les besoins, orienter les investissements et réduire l’incertitude pour les filières.

Sept groupes sectoriels – grandes cultures, fruits et légumes, viandes blanches, ruminants, viticulture, productions végétales spécialisées, pêche et aquaculture – rassemblent plus de 200 acteurs : présidents de conseils spécialisés de FranceAgriMer, interprofessions, instituts techniques, INRAE, transformateurs et distributeurs. « Leur mission est, selon le coordinateur général, de définir des trajectoires cohérentes de production et proposer des recommandations opérationnelles dès le Salon de l’agriculture 2026 ». Cette démarche nationale sera complétée par une déclinaison régionale pilotée par les préfets. Chambres d’agriculture, coopératives, ARIA, financeurs et acteurs privés seront mobilisés pour fiabiliser les données, identifier les projets structurants et ancrer cette stratégie dans les réalités territoriales. Un format spécifique a été prévu pour les Outre-mer, où la souveraineté alimentaire représente un enjeu vital.

Un contexte tendu : « la guerre agricole » en toile de fond

Dans son discours de lancement, Annie Genevard a dressé un tableau géopolitique marqué par une compétition accrue autour des ressources agricoles. L’invasion de l’Ukraine, le blocus de la mer Noire ou la progression de la Russie sur les marchés céréaliers illustrent, selon elle, une réalité : « l’alimentation est une arme politique ». Dépendances croissantes, balance commerciale agroalimentaire déficitaire, volatilité des marchés, effets du changement climatique : la France entre dans « un moment décisif de son histoire alimentaire ».

La ministre défend une stratégie de protection et de reconquête : mesures miroirs, clauses de sauvegarde, brigade dédiée au contrôle des importations, renforcement des capacités industrielles, soutien à l’innovation et « patriotisme alimentaire ». Elle insiste sur la nécessité de restaurer une chaîne agricole cohérente, du producteur au consommateur : « des fermes françaises, des usines françaises, des magasins français et des consommateurs qui achètent français ».

Annie Genevard, ministre de l'agriculture, lundi 8 décembre. Copyright Thomas Hubert/agriculture.gouv.fr
Discours d'Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la souveraineté alimentaire, lors du lancement des conférences de la souveraineté alimentaire.

Un cap attendu par la jeunesse agricole

La table ronde consacrée à la place de la jeunesse dans cette stratégie a donné le ton.
Margot Mégis, membre du conseil d’administration de Jeunes Agriculteurs, installée depuis 2015, a rappelé l’importance d’une vision stable : « Pour que les jeunes veuillent devenir ou continuer l’agriculture, il faut de la visibilité, surtout face à des marchés volatiles et une situation géopolitique instable ». Pour elle, planifier l’agriculture n’est pas un retour en arrière, mais un moyen d’éviter que les exploitants affrontent seuls les crises.

Pierrick Horel, président de Jeunes Agriculteurs, voit dans ces conférences la suite logique des travaux engagés par son organisation : « c’est la déclinaison des plans et contrats d’avenir que nous avons voulu à JA. […] Ce cap rapide, nous y voyons la capacité à proposer des solutions opérationnelles pour les agriculteurs. Madame la ministre, allons-y, engagez-vous. Si ce travail n’est pas mené à bout, nous le dénoncerons de manière forte et visible. »

Pour une génération en pleine installation ou en préparation de transmission, la création d’un cadre pluriannuel représente un enjeu déterminant : sécuriser les investissements, anticiper l’évolution des marchés, adapter les ateliers aux contraintes climatiques et assurer une rémunération stable. La ministre l’a rappelé : sans revenu, pas d’attractivité ni de renouvellement des générations.

Table ronde « Le rôle des jeunes dans la souveraineté alimentaire ».
Table ronde « Le rôle des jeunes dans la souveraineté alimentaire » avec Valérie, exploitante en grandes cultures, Valentin, élève en BTSA ACSE et Margot, productrice de plantes à parfum et productrice de semences, membre du CA JA.
Des résultats attendus dès 2026

Les travaux lancés en décembre donneront lieu à plusieurs étapes clés :

  • mi-janvier 2026 : premières contributions régionales ;
  • février 2026 : premières conclusions sectorielles présentées au Salon de l’agriculture ;
  • mars à mai 2026 : déclinaisons territoriales et projets pilotes ;
  • été 2026 : présentation du plan national de production et de transformation à dix ans ;
  • fin 2026 : grande conférence nationale concluant la démarche et fixant la stratégie finale.

Pour Jeunes Agriculteurs, qui appelle depuis plusieurs années à une planification agricole, cette initiative pourrait constituer un tournant. Elle promet une forme de stabilité dans un monde en tension, une meilleure articulation entre production et transformation, et surtout un horizon clair permettant aux futures installations de se projeter.

Un chantier politique, économique et culturel

La souveraineté alimentaire ne s’arrête pas aux champs. La ministre en fait une cause nationale, portée par une future consultation citoyenne et par la volonté d’ancrer un « patriotisme alimentaire » durable dans les habitudes françaises. Réforme des étiquetages, exemplarité des cantines publiques, innovation, compétitivité industrielle, protection commerciale : la stratégie vise à reconstruire un système complet, du sol au panier.

Pour les jeunes agriculteurs, cette dynamique peut marquer un changement d’échelle. En dessinant un cap partagé, l’État tente de répondre à une demande ancienne : ne plus subir, mais prévoir. Reste à transformer l’élan politique en outils concrets et durables. Les premiers jalons sont posés ; la jeunesse agricole attend désormais les preuves.