Innovations

La recherche s'accélère sur la fermentation

L’utilisation de microbes pour transformer et conserver des aliments mobilise chercheurs et industriels.

Fèves cacao

Quel est le point commun entre la choucroute, le vin, le fromage, le café, le pain et le yaourt ? Tous ces aliments (avec d’innombrables autres, consommés aux quatre coins du monde) sont issus de fermentations. Autrement dit de transformations chimiques profondes opérées par un ou plusieurs microbes – bactéries, levures, champignons, etc.

Ces fermentations passionnent de plus en plus les scientifiques et industriels, au point qu’un programme de recherche consacré aux ferments et aux aliments fermentés vient d’être lancé avec un budget historique de 48 millions d’euros. Coordonné par INRAE et l’ANIA, englobant une trentaine d’entités partenaires dont d’importantes coopératives agricoles, il se fixe pour objectif de favoriser la transition vers une alimentation « plus sûre, plus saine et plus durable », et de révolutionner la science de la fermentation.

Les ferments sont des microorganismes qui confèrent aux aliments qu’ils transforment des propriétés capitales pour les humains, raison pour laquelle ils ont été sélectionnés, parfois depuis des millénaires. Quelles propriétés ? Principalement quatre. D’abord, une composition intéressante nutritionnellement et gustativement : souvent les ferments apportent des nutriments, vitamine C ou B12 par exemple, qui étaient absents de l’aliment d’origine, ainsi que des saveurs et des parfums désirables. Deuxièmement, une meilleure conservation. Historiquement, la plupart des fermentations ont été développées dans cet objectif, pour protéger les aliments contre les « mauvais microbes », moisissures et autres germes nocifs. Troisièmement, certaines fermentations détoxifient les aliments, supprimant des allergènes ou des composés dangereux. Enfin, quatrièmement, les aliments fermentés peuvent apporter des microorganismes utiles à notre microbiote. Plusieurs études ont par exemple documenté l’effet protecteur des yaourts, très riches en microbes, contre les maladies cardiovasculaires, ainsi que contre diverses irritations du tube digestif.

Un programme de recherche à 48 millions d'euros

Ces propriétés intéressent particulièrement, à l’heure où le public rejette de plus en plus la chimie de synthèse, et où il faut faire émerger un nouveau modèle d’alimentation. Les industriels ne s’y trompent pas : ils savent que supprimer les conservateurs, les agents de texture et de saveur, tout en améliorant le goût et la composition nutritionnelle des aliments sera demain la clé du succès. Une clé que les ferments pourraient bien détenir. « Tout le monde essaye de raccourcir les listes d’ingrédients pour gagner en acceptabilité », note Emmanuel Jamet, directeur de recherche de la fromagerie Bel, très impliquée dans le programme de recherche.

L’industriel se passionne pour les ferments pour une autre raison : « Alors que nous sommes surtout connus pour vendre des produits laitiers, nous souhaitons végétaliser notre offre : à terme notre objectif est de proposer au public 50 % de “fromages végétaux” et 50 % de fromages laitiers. » Pour cela, comme de nombreux autres acteurs, Bel aimerait innover en faisant fermenter des légumineuses comme les pois, les haricots, les lentilles, afin de leur donner un meilleur goût tout en profitant de leur richesse en protéines.

Innover en fermentant des légumineuses

Pour que les ferments tiennent leurs promesses, il faudra beaucoup de recherches, et étoffer considérablement la « boite à outils » fermentaire. Notamment en allant fouiller dans les banques microbiennes hébergées par beaucoup d’instituts scientifiques, mais aussi en collectant d’innombrables nouveaux microorganismes, dans des pays aux traditions culinaires différentes (l’Asie fermente beaucoup de légumes peu connus des Européens), voire dans la nature. Ces nouveaux microbes, il faudra les mettre en culture, étudier leur métabolisme ainsi que leurs effets sur la santé (bons ou mauvais), tenter de les associer avec d’autres pour optimiser leurs qualités… bref un chantier pharaonique, désormais à l’ordre du jour grâce aux progrès de la biologie moléculaire et de l’informatique.