Sur le terrain

Romain Provost voit la vie en vert sapin

Chez Romain Provost, c’est Noël tous les jours ! Le jeune agriculteur de 26 ans s’est lancé l’année dernière dans la culture de sapins de Noël, une diversification originale qui lui permet de toucher les particuliers. La culture est par ailleurs loin d’être désuète, puisque les Français restent très attachés à la tradition du sapin de Noël naturel.

Romain Provost. Crédit : Clémentine Vignon

C’est à Blanzay, entre Poitiers et Angoulême, au sud-ouest du département de la Vienne et à deux pas des Deux-Sèvres, que se situe l’exploitation de Romain Provost, président des Jeunes Agriculteurs de la Vienne depuis mars 2022. L’agriculteur de 26 ans est installé depuis trois ans sur l’exploitation familiale de polyculture-élevage. Une installation qu’il estime s’être très bien passée. « Si tous les jeunes pouvaient s’installer comme ça ! » se prend-il même à rêver. Romain n’a jamais douté de sa vocation. Après un brevet professionnel agricole, il s’est orienté vers un BPREA qu’il a complété par un certificat de spécialisation mécanique. Avant de s’installer, il a été salarié pendant quatre ans dans une exploitation voisine de celle de ses parents. Une expérience qui a été déterminante pour lui, tant d’un point de vue professionnel que personnel. Son voisin est devenu son patron, puis son « tonton ». C’est ainsi que Romain l’appelle désormais, lui qui a cette capacité innée à nouer des liens forts et durables avec son entourage.

Des sapins de Noël pour se démarquer

Auprès de son « tonton » de cœur, Romain a beaucoup appris. C’est aussi avec lui qu’il a planté ses premiers sapins, il y a cinq ans, alors qu’il travaillait encore chez lui. « C’était un peu une idée en l’air quand il s’est lancé dans la plantation de sapins de Noël ! » se souvient Romain. Il faut dire que ce n’est pas une culture très courante dans le coin, la production française de sapins de Noël étant essentiellement concentrée dans le Morvan, en Bourgogne-Franche-Comté.

Au moment de son installation, alors que Romain cherchait à se démarquer, cette histoire de sapins est revenue le hanter. Pourquoi ne pas se lancer à son tour ? D’autant plus qu’autour de lui, les diversifications étaient déjà nombreuses, et il était inenvisageable qu’il fasse la même chose que ses amis et confrères agriculteurs :

« Hors de question de se faire concurrence ! »

Effectivement, lorsque l’on sillonne la plaine agricole autour de Blanzay, on s’aperçoit très vite de cette diversité de cultures qui jaillit d’entre les champs de tournesol, de maïs ou de colza, plus traditionnels. On remarque ici des noisetiers ou des serres sous lesquelles poussent des fraises, là des plantations de tabac ou encore des truffières… Plantés en février dernier, les sapins de Romain se font pour l’instant plutôt discrets du haut de leurs 50 centimètres, en ce début du mois d’octobre. 

En automne, les sapins prennent une teinte marron. Crédit : Clémentine Vignon
En automne, les sapins prennent une teinte marron. Crédit : Clémentine Vignon

Un projet mûrement réfléchi

En s’installant, Romain a repris une ferme de 120 hectares sur lesquels il cultive surtout des céréales : du colza, du blé, du maïs, du tournesol, et depuis peu du soja pour l’alimentation des animaux – 350 chèvres et 60 vaches de race limousine. Quant à sa plantation de sapins, située juste derrière la maison de ses parents, c’est un peu son terrain de jeu. Sur 40 ares, qu’il espère étendre à 2 ha, il s’amuse et expérimente tout en ayant parfaitement conscience que, bien menée, la culture de sapins de Noël peut tout à fait être rentable : comme la vigne, c’est une culture à forte valeur ajoutée. Pour l’instant, il a planté 2 400 arbres : des sapins de Nordmann, en grande majorité, et une centaine d’épicéas, « pour voir ». Les plants, provenant d’une pépinière située dans la Creuse, ont été mélangés au départ. Romain n’a donc aucune idée de l’emplacement des épicéas sur sa parcelle. Heureusement, leur couleur bleutée permettra de les distinguer des Nordmann d’ici deux ou trois ans.   

Avant de concrétiser son projet de cultiver des sapins, l’agriculteur s’est rendu dans plusieurs exploitations. En effet, « il n’y a pas de techniciens spécialisés dans les sapins », fait-il remarquer. Pour obtenir des conseils avisés et éviter les déconvenues, il s’est donc rapproché de cinq ou six producteurs, dont quelques « poids lourds ». « Avec 40 ou 50 ha de sapins, certains ne font que ça ! » indique Romain. Les échanges ont été constructifs et l’ont aidé à peaufiner son projet. La plupart des producteurs l’ont notamment mis en garde contre l’ensalissement. Alors qu’il envisageait de tondre l’herbe semée entre les sapins, la montée du prix de l’essence l’a rebuté. Ce sont finalement des moutons qui feront le travail !

« Même si les moutons sont très chers, c’est un investissement que je ne regrette pas. »

Il n’a pas choisi la race au hasard. Ce sont des Shropshire, une race anglaise bien adaptée à l’entretien des vergers et des sapinières. « Ils ne mangent ni les écorces des arbres ni les aiguilles, explique Romain. À condition bien sûr d’avoir suffisamment d’herbe à leur disposition. » Pour en avoir le cœur net, l’agriculteur a une petite astuce : mettre une botte de foin en libre-service. Si elle reste intacte, c’est que la quantité d’herbe est suffisante ! Cependant, les animaux font parfois la fine bouche, ce qui l’oblige à passer un coup de débroussailleuse de temps en temps pour se débarrasser des refus.

Moutons de la race Shropshire
Pour pâturer entre ses sapins, Romain a choisi des moutons de la race Shropshire, bien adaptée à l’entretien des vergers et des sapinières. Crédit : Clémentine Vignon

L’irrigation n’est pas une option

Malgré tous les conseils glanés auprès d’autres producteurs, il y a une chose que Romain n’avait pas vue venir : l’effet de l’excès de chaleur sur ses sapins. « Début juin, on a eu deux jours de fortes chaleurs, j’ai irrigué mes sapins la nuit comme j’ai l’habitude de le faire avec mes blés, mais cela n’a pas été suffisant », explique-t-il. Les pertes ont été conséquentes : près de la moitié de sa plantation – soit un peu plus de 1 000 sapins – est partie en fumée. « Les arbres ont changé de couleur en deux ou trois jours », soupire Romain qui compte en replanter de nouveaux au mois de février pour remplacer ceux perdus. Mais on ne l’y reprendra plus : lors des prochaines vagues de chaleur, il arrosera aussi en journée, pour maintenir une humidité constante dans le sol.

L’irrigation est historique dans le secteur. « Sur Blanzay, les trois quarts des exploitations sont irriguées » informe Romain. La terre, caillouteuse et séchante, en est la principale raison. « On a 15 ou 20 cm de terre, et ensuite ce sont des cailloux », détaille l’agriculteur. Heureusement, les sapins de Nordmann apprécient ce type de sol séchant et caillouteux, mais à une seule condition : l’irrigation.

Faire preuve de patience

Chaque année, vers février ou mars, au sortir de l’hiver quand les risques de gelées seront passés, Romain plantera la même surface de sapins – environ 40 ares – jusqu’à atteindre 2 ha. Il aura ainsi « des sapins à vendre tous les ans. » Plantés en février dernier, les premiers sapins ne pourront être récoltés que dans cinq ou six ans seulement, lorsqu’ils auront atteint les 1m80. « Je replanterai ensuite directement de nouveaux sapins à côté des pieds fraîchement coupés », explique l’agriculteur qui ne songe pour le moment pas à réaliser une interculture.

« La première année, les sapins ne poussent pas beaucoup, mais ils changent de couleur », constate Romain. Il s’émerveille de la teinte vert clair qu’ont prise les sapins au printemps dernier, signe d’une bonne implantation. « C’était magnifique ! » Mais, le mois d’octobre venu, ils revêtent désormais leur manteau d’automne, et le vert tendre se fait progressivement remplacer par le marron. « L’hiver, ils entrent en dormance jusqu’au mois de mars ou avril », explique Romain.

Plus d’intensité les dernières années

Dans une plantation de sapins, la première année n’est pas la plus intense. Il s’agit en priorité d’installer l’irrigation et de planter de l’herbe « pour que ce soit le plus propre possible ». La cadence s’accélère la quatrième année.

« L’hiver de la quatrième année, il faut inciser la tête du sapin à l’aide d’une pince à scarifier pour arrêter sa croissance. »

Car, si le sapin pousse en hauteur les trois premières années, les deux dernières années de culture sont surtout destinées à l’étoffer. « Certains font le choix de mettre un produit chimique pour arrêter la croissance du sapin en passant avec un pulvé, de mon côté je préfère pratiquer cette légère incision, c’est vite fait. » Enfin, juste avant le printemps de la dernière année, il faut pratiquer la taille à l’aide d’un couteau spécial. L’objectif : donner au sapin de Noël cette forme caractéristique que nous lui connaissons. « Les premiers ne seront sûrement pas très jolis ! », sourit Romain qui espère prendre rapidement le coup de main. L’agriculteur est impatient que ses sapins grandissent, car « ce sont vraiment les dernières années que tu t’amuses avec cette culture ! ».

Sapin
L’hiver de la quatrième année, une légère incision doit être réalisée sous le bourgeon terminal pour arrêter la croissance verticale du sapin. Crédit : Clémentine Vignon

Journées portes ouvertes

La philosophie de Romain, c’est « chaque chose en son temps ». Aussi, avant de penser à la vente de ses sapins, il voulait déjà voir ce qu’allait donner la production. Mais c’était sans compter la rumeur qui commence doucement à s’ébruiter à Blanzay et ses environs. « Il y a vraiment des gens qui attendent mes sapins », sourit Romain qui vise avant tout les particuliers. Il souhaite organiser des journées portes ouvertes à la ferme au mois de décembre afin que les gens puissent « choisir et couper eux-mêmes leur sapin ». Il réfléchit aussi à cultiver une partie de ses sapins dans des pots. « L’avantage, c’est qu’ils peuvent ensuite être replantés, c’est un parti un peu écolo, donc pourquoi pas… » « C’est une aventure qui ne fait que commencer ! » résume-t-il. Romain compte d’ailleurs se rapprocher de l’Association française du sapin de Noël naturel, l’AFSNN, afin de suivre des formations pour renforcer ses connaissances techniques.

En ce qui concerne l’élevage, il arrêtera l’atelier chèvre lorsque ses parents partiront à la retraite, pour privilégier le cheptel bovin. « Actuellement constitué de 60 mères, j’aimerais l’augmenter pour atteindre une centaine de mères dans deux ou trois ans, explique l’agriculteur. On a un troupeau très joli, avec une très bonne génétique grâce à mon père qui fait de la sélection depuis la toute première vache. On vend de très bons reproducteurs, je ne me vois pas arrêter du jour au lendemain. » Comme son père, Romain est passionné de concours. Et, à l’instar de ses bovins, il espère faire monter sur les podiums ses moutons Shropshire, sa nouvelle fierté.

Romain Provost
Romain avec ses limousines. Crédit : Clémentine Vignon