Élevages

La mutation rapide du secteur de l’œuf

La marche paraissait haute au départ. Mais les éleveurs de poules pondeuses et leurs groupements se sont engagés massivement dans la transformation du modèle d’élevage en cages vers des modes de production alternatifs.

Poules marchant en plein air

En 2016, le CNPO (Comité national interprofessionnel de l’œuf) fixe un cap à la filière d’un peu plus de 2 000 éleveurs (14,3 milliards d’œufs ou 889 000 tonnes): transformer le modèle d’élevage en cage (code 3) pour qu’en 2022, une poule sur deux soit élevée selon un mode de production alternatif – sol (code 2), plein air dont Label Rouge (code 1) ou bio (code 0). Trois ans après, le CNPO peut se féliciter d’avoir été entendu. « En 2018, 42 % des poules pondeuses sont dans des élevages bios, de plein air ou au sol contre 37 % en 2017 et 33 % en 2016 », indiquait-il à la mi-avril, lors d’une conférence de presse. À ce rythme, les 50 % de poules pondeuses en production alternative devraient être atteints avec deux ans d’avance.

Dans le Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Normandie) qui concentre près de 47,5 % des effectifs de poules pondeuses en France (720 éleveurs, 22,85 millions de poules pondeuses), la transformation est très rapide. Selon la section œufs de l’Union des groupements (UGPVB), « la production en mode alternatif devrait représenter 53,4 % des poules pondeuses du Grand Ouest à fin juin 2020 contre 41,2 % en juin 2019 et 30 % en juin 2018 », indique Gilles Guillaume, son animateur. En vérité, cette transformation rapide du système de production sur injonction du marché n’a rien de simple.

L’élevage de poules pondeuses a toujours fait la part belle aux cages en bâtiment clos, même quand les modes de production alternatifs ont commencé à se développer dans les années 1990. Mais le vent a tourné dans les années 2000. Les cages ont peu à peu perdu de leur crédit aux yeux du consommateur, ému par l’idée de la souffrance animale. Un débat largement attisé par des associations abolitionnistes qui « ont imposé à la plupart des distributeurs de retirer de leur offre les œufs issus d’élevages de poules en cage », rappelle Thierry Coatrieux, directeur d’une des plus importantes organisations françaises de producteurs, Armor-Œufs dans le Morbihan. Dans ce contexte, la messe était dite pour la production.

Des investissements faramineux

 

En l’espace de trois ans, la filière aura investi près de 280 millions d’euros pour« arrêter la production de 9 millions de poules élevées en cages et mettre en place 9 millions de poules pondeuses en systèmes alternatifs », poursuit le CNPO. Un effort colossal qui a conduit l’interprofession à demander une participation aux enseignes de la grande distribution, dans le cadre d’un contrat d’avenir sociétal. Par ce contrat, un fonds aurait été constitué pour accompagner les investissements de l’amont. Mais « aucune enseigne ne l’a signé », fait remarquer Maxime Chaumet, secrétaire général du CNPO.  

Tout l’effort de cette transformation repose donc sur les éleveurs. Le problème, c’est que la plupart d’entre eux n’ont pas encore amorti l’importante mise aux normes de 2012 pour aménager les cages (directive « bien-être »). Pour livrer leurs clients en œufs code 2, 1 ou 0, les organisations de producteurs ont accueilli de nouveaux éleveurs sans attendre que leurs adhérents « historiques » procèdent tous à la transformation de leur outil. Le marché a également vu de nouveaux entrants sur le marché. Les plus endettés continuent donc de travailler en code 3, le temps d’amortir leurs bâtiments. Évidemment, le code 3 n’est pas définitivement banni du marché. Dans le secteur des ovoproduits notamment, du moins quand l’œuf n’est pas l’ingrédient principal, le consommateur réclame rarement une assurance sur le mode d’élevage.

Ceux qui se sont engagés dans la transformation de leur outil bénéficient généralement d’une surprime de leur organisation de producteurs (neuf en France) qui s’ajoute au montant de reprise des œufs. Une surprime d’autant plus nécessaire que la transformation d’un code 3 en code 2 réduit le nombre de poules pondeuses de l’ordre de 40 %. Il faut donc que le marché rémunère mieux les modes de production alternatifs. C’est actuellement le cas : le kilo d’œufs est payé en moyenne 95 centimes d’euros (c€) en code 3 contre 1,05 € en code 2, environ 1,30 € en code 1 (plein air) et 2,40 € en code 0 (bio).

Dans cette reconfiguration du marché, le risque n’est-il pas grand de voir le marché dévisser par un trop plein d’œufs issus des productions alternatives ? Dans le Grand Ouest, l’UGPVB (l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne) remarque que le gain de poules pondeuses en élevage alternatif est supérieur au recul des effectifs en cage. D’ici à juin 2020, le bio pourrait encore gagner 25 % et le plein air 30 %, a calculé l’UGPVB. « L’engorgement actuel du marché en bio n’est d’aucune surprise avec un développement supérieur à l’évolution de la demande du marché », relève Gilles Guillaume.