Diversification

Beurre d'Échiré, le beurre du salut

Le beurre de luxe du pays d’Échiré a conquis le monde. Mais les temps sont durs pour les éleveurs, à la recherche de nouvelles stratégies pour tirer leur épingle du jeu.

Image en attente

Sous le vrombissement des machines, l’écran de pasteurisation affiche 94 degrés. Plus loin, deux énormes barattes en bois de teck tournent à plein régime. S’en échappe une masse souple et jaune : le beurre Échiré. Un beurre d’exception produit par la coopérative laitière de la Sèvre à raison de 7,5 t par jour et qui fait vivre le village d’Échiré depuis plus d’un siècle.

Réputé pour son arôme de noisette, sa texture fine et malléable, le beurre Échiré fait des émules parmi les grands chefs et pâtissiers du monde entier.

Il y a quelques semaines, un boulanger japonais de passage en France a même fait un crochet par la laiterie pour faire goûter ses viennoiseries élaborées avec le beurre de la fabrique. « Il est venu là avec un petit paquet, pour nous l’offrir. Exprès ! » raconte le responsable de fabrication Denis Roquier, visiblement touché.

À 7 € le kilo, le beurre Échiré est une denrée de luxe. Mais les amateurs de produits français d’excellence sont prêts à mettre la main au porte-monnaie. La coopérative produit 1150 tonnes par an de ce beurre cinq étoiles, dont 36% sont écoulées en  grandes et moyennes surfaces (GMS), 36% en restauration hors domicile (RHD) et 28% à l’export.

Une exigence accrue

Il faut dire que le beurre Échiré multiplie les gages de qualité. Il bénéficie de l’AOP beurre Charentes-Poitou depuis 1979 et répond à un cahier des charges encore plus exigeant : la phase de maturation dure 18h au lieu de 12h pour un PH final CHECK de 4,70 au lieu de 6. « On est sur une maturation lente des crèmes pour bien développer les arômes. Plus la crème est acide, plus c’est facile pour nous de faire du beurre », explique Denis Roquier. Quant à l’arôme dominant de noisette, il résulte des ferments lactiques ajoutés lors de la maturation.  Mais pour lui, l’essentiel réside dans la qualité du lait. « Il n’y a pas de super beurrier. On ne reçoit que de la bonne matière, à nous d’en tirer  parti.»

David Renaud, 27 ans, fait partie des 65 éleveurs qui approvisionnent la coopérative. Installé en Gaec avec son père et son cousin, il participe à la fabrication du beurre Échiré d’aussi loin qu’il s’en souvienne. «Ça date d’avant le Gaec qui a été créé en 1965, sachant que la ferme a été rachetée par ma famille en 1906-1907. » C’est précisément à cette période-là, dès la fin du 19ème siècle, que la zone viticole des Charentes décimée par la maladie phylloxera opère une transition vers la production laitière. Depuis, les éleveurs d’Échiré se sont structurés et ont élaboré, en 1997, leur propre charte qualité pour obtenir un lait haut de gamme. « L’alimentation des bêtes est certifiée sans OGM et 100% du fourrage provient de nos exploitations », explique David.

De son côté, il a amélioré le paillage de ses 120 Prim’Holstein et revu la composition des rations alimentaires en incorporant de la luzerne « pour les protéines et les omégas 3 ». Il a aussi investi 250 000€ dans un robot de traite qu’il terminera de payer dans deux ans. « C’est un investissement qui fait mal (…) mais les vaches sont plus calmes, elles se font traire quand elles veulent et n’ont pas le stress de la salle d’attente où elles restent parfois agglutinées pendant deux heures. » Des choix stratégiques qui lui permettent de produire 1,2 millions de litres de lait par an.

Une réalité décalée

Paradoxe du beurre Échiré cependant : malgré la qualité du produit, les éleveurs ont du mal à en tirer un revenu décent. « On n’arrive pas à sortir le résultat qu’on devrait faire », regrette David. La faute à un surcoût de production sans OGM qu’ils n’arrivent pas à compenser et aux « problèmes de gestion » de la coopérative. « On a mis un an et demi à rattraper notre déficit de 2012-2013 », se souvient David. « Tous les exploitants ont payé pour redresser la laiterie. On est revenus à l’équilibre, mais là on est vraiment le cul entre deux chaises. Les prix se sont effondrés. Ce n’est pas évident. » La collecte de lait a baissé de 6% entre 2016 et 2017 tandis qu’une à trois exploitations cessent la production laitière chaque année. « Ca fait deux ans qu’on baisse en volume de lait, » rajoute-t-il.

Alors l’entreprise beurre Échiré examine de nouvelles possibilités d’investissements pour mieux rémunérer ses éleveurs. « On souhaite obtenir 350€/1000L de lait d’ici 2022, contre 310€ actuellement, » dit David. La laiterie a donc lancé son premier fromage de vache, le Moncoudray, primé au Concours général agricole 2017. Mais le principal enjeu reste de valoriser la poudre de lait, un dérivé de la production de beurre extrêmement riche en protéines et pourtant vendu à perte. « Le but, c’est de transformer nous-mêmes cette poudre de lait pour obtenir un concentré de protéines et ainsi capter la marge que d’autres font à notre place. »

David espère aussi que la coopérative embauchera bientôt une personne chargée de dégoter de nouveaux marchés et de développer l’export. Quant à l’AOP beurre Charentes-Poitou, elle examinerait la possibilité de mieux valoriser ses produits dans toute la région Nouvelle-Aquitaine, à laquelle appartient désormais l’ancienne région Poitou-Charentes. Un segment du marché où le beurre Échiré aura peut-être un coup à jouer.