Installation

Thibaut mène chemin faisant son installation progressive

Vacher dans la Manche, Thibaut Giraud finira de s’installer en 2020. Entre obstacles, entraide et bienveillance de la profession agricole.

Thibaut Giraud caresse une vache, dans un pré.

Au milieu du pré vert et boueux, Thibaut Giraud dépose une botte d’enrubanné. Alertée par le bruit du tracteur, Merveille, la jeune charolaise, roule des épaules pour devancer ses congénères normandes et se servir la première. « J’aime bien le tempérament des charolaises, leur côté un peu pataud, lance le jeune agriculteur basé dans la Manche. Et c’est une vache rustique qui s’adapte bien à mon parcellaire sec et humide par endroits. »

Depuis 2009 et son stage de bac pro CGEA chez un éleveur de bêtes à concours dans la plaine de Caen, Thibaut rêve de monter son troupeau de vaches allaitantes. Mais ce hors cadre familial dispose de peu de capitaux pour s’installer. Après un BTS Acse obtenu en 2012, il devient agent de remplacement, au rythme de deux à trois missions par jour. « J’ai travaillé dans une quarantaine de fermes », précise Thibaut. Son remplacement le plus court ? Une heure. Le plus long ? Un an. « En ce moment, je travaille dans une exploitation laitière. Je cumule avec un remplacement en lait d’ânesse et du complément de main-d’œuvre sur un élevage de cochons. » Un rythme de travail effréné qui lui a permis de préparer son installation et de mettre de l’argent de côté. « J’ai mis du temps à m’installer, poursuit Thibaut. Quand des exploitants te ferment la porte parce que tu n’es pas fils de paysan… Ça m’est arrivé trois ou quatre fois. »

La DJA en fin de parcours à l’installation

En 2015, lors d’une réunion de structure JA, Thibaut annonce qu’il cherche à s’installer. Deux ans plus tard, le président de son canton (Antoine Maquerel, ex-président de JA 50) l’informe d’une double possibilité de reprise de terres. Le deal ? S'installer sur 20 ha, disponibles pratiquement immédiatement à la suite d'un échange de parcelles, puis sur 54 ha supplémentaires en 2020 à l'occasion d'un départ en retraite. « On a fait le tour des propriétaires et j’ai dit oui », se souvient Thibaut. Il opte pour une installation progressive : c’est seulement à la fin de son parcours à l’installation, en 2020, qu’il touchera la Dotation jeunes agriculteurs (DJA). « [Si je l’avais demandée au début], je serais allé droit dans le mur : j’aurai été incapable de répondre au critère revenu en année 4. »

Officiellement installé depuis ‪le 1er octobre à Marigny-le-Lozon (Manche), Thibaut a récupéré ses premières terres au printemps dernier. Il cultive des céréales sur 10 ha. Le reste est dédié aux prairies où il fait paître 30 brebis et dix génisses dont Merveille, la charolaise, dont il a bien du mal à se séparer. « Je dois bientôt envoyer mon premier lot à l’abattoir, mais elle, je la garderai bien un peu plus longtemps ! » Il a aussi testé la vente d’agneaux en caissettes : « Je voulais voir à quoi ressemblaient l’emballage et la découpe, explique Thibaut. Je suis content, je recommencerai à la belle saison. » Autant de projets financés grâce à un prêt bancaire de 30 000 € obtenu en mai 2018. « Au total, mon installation demandera 210 000 € d’investissements. »

Pour construire son cheptel, il a pensé un système qui semble bien rôdé. « Au printemps, j’achèterai 30 mères charolaises et un taureau », indique le jeune éleveur. Pendant l’hiver, les bêtes trouveront refuge dans le bâtiment d’élevage, à côté des moutons. « À la belle saison, quand tout le monde sera à l’herbe, j’y mettrai 40 montbéliardes pour éviter d’avoir un bâtiment vide. » Un fabricant de steaks hachés s’est déjà engagé à lui acheter cette production. Le jeune agriculteur de 27 ans projette aussi d’engraisser une dizaine de normandes pour un grossiste. Quant aux futurs veaux charolais, il réfléchit encore au meilleur circuit de valorisation. « J’ai toujours entendu dire qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, commente Thibaut. Du coup, je préfère me diversifier un petit peu, mais le principe reste le même : l’engraissement. »

Un cheptel suspendu à l’accord de banque

Le hic, c’est que le bâtiment d’élevage, sur lequel il comptait et qui appartient à ses futurs cédants, s’avère trop proche des habitations alentour. « Je l’ai su il y a cinq mois, alors que le projet était déjà lancé, glisse le jeune éleveur. D’un bâtiment qui me coûtait 10 000 € à la base et du fait qu’on m’enlève l’autorisation de mettre des animaux dedans, il faut maintenant que j’investisse dans un autre bâtiment à 100 000 €. » Un prix difficilement négociable selon lui, car en plus des travaux et de l'aménagement, il faudra acheminer l’eau et l’électricité. « Ce bâtiment, c’est le point noir de mon installation. (…) Aujourd’hui, je me bats avec la banque pour qu’elle continue à financer mon projet. » Il reconnaît avoir fait une erreur stratégique en autofinançant « trop de choses » dès la première année. « J’ai endommagé ma trésorerie, regrette-t-il. J’aurai dû, dès le départ, demander à la banque de me financer de la trésorerie. »

En espérant qu’une solution se dégage, Thibaut continue à prodiguer les soins à ses bêtes matin et soir et à effectuer des remplacements en journée. À la saison des foins, c’est un peu plus compliqué. L’an passé, « j’ai eu peur de ne pas parvenir à tout faire, mais finalement j’ai réussi à bien m’organiser. » Sa conjointe, salariée agricole, lui a prêté main-forte. Tout comme Antoine avec qui il est désormais voisin. Tous deux ont créé une banque d’entraide pour s’occuper de leurs champs : 110 ha de cultures sous couverts végétaux. « Antoine fait les traitements, les engrais et les moissons, explique Thibaut. Moi, je fais l’entretien des haies et des jachères. » Des tâches qu’il peut intercaler plus facilement dans son emploi du temps. « Avec Antoine, on a quand même développé une sacrée force, tant au niveau matériel qu’humain. »