Élevages

Étiquetage du lait : le Conseil d’État cède, la filière trinque

L'étiquetage obligatoire de l’origine du lait, obtenu en 2016, est jugé illégal par le Conseil d’État depuis le 11 mars dernier, répondant favorablement à la requête du Géant Lactalis pour cause d’"excès de pouvoir".  

Produis laitiers

« Surpris ? On est surtout révoltés par cette décision, réagit Shayna Darak, éleveur laitier et membre à JA national. À titre personnel, en tant que producteur, je n’avais jamais entendu parler de cette demande de Lactalis. Sinon, ça aurait fait longtemps que les éleveurs se seraient révoltés »
Dans un communiqué commun, la Fédération Nationale des Producteurs de lait, Jeunes Agriculteurs et la FNSEA ont dénoncé un « retour en arrière inacceptable. En donnant raison à Lactalis, le Conseil d’État empêche les consommateurs de connaître la provenance de leur alimentation, et de choisir librement les produits qu’ils consomment. »

Interrogée par le Conseil d’État, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé le 1er octobre 2020 que les États membres peuvent imposer un tel étiquetage au nom de la protection des consommateurs à deux conditions : d’une part, « que la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information » et d’autre part qu’il existe un « lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance ».
Bien que le Conseil d’État reconnaisse dans le cas du lait l'importance de l'origine pour les consommateurs, il n’y a selon lui « pas de lien avéré entre son origine (UE, non UE) et ses propriétés ». Par conséquent, ce dernier a jugé que la société Lactalis « est fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir » de ce décret ainsi que des décrets qui en ont prorogé les effets jusqu’au 31 décembre 2021.

Un acte de résistance du "monde d'avant"

« C’est un coup de massue. C’est la valeur ajoutée de notre lait qui s’envole », commente Shayna Darak. Label bas carbone, engagement sans OGM, « on travaille depuis de nombreuses années avec les consommateurs dans une démarche de qualité ».  Une volonté de consommer français et local « née de la crise de 2008 et renforcée par la crise du Covid », explique Pascale Hebel, directrice du pôle consommation et entreprise au Crédoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie).

Outre les enjeux d’impact environnemental et de souveraineté alimentaire, la chercheuse constate chez les consommateurs une réelle envie de soutenir économiquement l’agriculture française. «  Au niveau du gouvernement aussi, on se dirige vers de la relocalisation. Le vent a tourné, mais ils résistent, résume Pascale Hebel. Lactalis fait partie de ces acteurs qui ne veulent pas du monde d’après ». 

Réponse de Lactalis ?  « Le marché européen doit rester un marché unique afin de préserver les exportations de produits laitiers Français, la France exportant 50 % de sa production laitière ». 

Peu de risques pour Lactalis

Shayna Darak corrige : « c'est plutôt qu'on noie à nouveau le consommateur dans le flou du marché européen ». Selon l’éleveur niortais, la demande de Lactalis participe au contraire d’une stratégie de délocalisation de sa production de lait. « Ils ne veulent garder du lait français que pour des produits à haute valeur ajoutée », par exemple du lait bio ou labellisé.
« C’est exactement leur stratégie. Ils veulent jouer sur les deux tableaux », abonde Pascale Hebel, rappelant que seulement la moitié des français, la plus âgée, est prête à payer plus pour du lait de qualité, « quand l’autre ne regarde pas du tout l'étiquetage ».

Si les syndicats ont appelé les autres industriels du secteur à maintenir l'étiquetage d’origine et profiter de la situation face à Lactalis, la chercheuse croit difficilement à un scénario de “Buycotte” (contraction de Buy, acheter en anglais, et boycotte). « Je ne dis pas pas qu’on ne peut pas discréditer une image, c’est déjà arrivé dans le passé, mais
ça reste un pari ». Pascale hebel, estime que Lactalis « connaît assez bien la force de ses produits pour juger que la démarche n’était pas risquée : ce groupe est leader sur le lait bio par exemple ».