Innovations

Émilien, un éleveur en quête de sérénité

Émilien Claudepierre, jeune éleveur installé dans le Doubs, aspire à une vie équilibrée. Pour s’assurer une tranquillité d’esprit dans son travail, il a revu ses pratiques et fait des choix qu’il ne regrette pas aujourd’hui. Loin d’en rester là, le jeune agriculteur continue d’innover au quotidien pour tendre vers une autonomie à tous les niveaux. 

Emilien Claudepierre

Émilien Claudepierre, agriculteur de 33 ans, est installé depuis 2011 à Cademène, dans le Doubs. Son exploitation de 145 ha est située dans la Vallée de la Loue et du Lison, un site classé Natura 2000. Aussi le jeune agriculteur se sent depuis toujours concerné par la préservation de son environnement. Soutenu par la chambre d’agriculture du Doubs, il a fait le choix de s’engager en 2015 dans des expérimentations visant à réduire ses rejets de nitrate. « On est hyper sujet au relargage d’azote, et on a un impact direct sur la qualité de l’eau de la Loue », reconnaît l’éleveur de vaches laitières. Sept ans plus tard, il constate que ce changement de pratique a engendré d’autres effets bénéfiques qu’il n’avait pas soupçonnés.

Retournement anticipé

Sur ses 145 hectares de surface agricole utile, seuls 10 hectares sont destinés à la culture de céréales. Le reste est constitué de prairies, dont la moitié sont des prairies temporaires d’une durée de vie d’environ sept ans. Le retournement de la prairie à l’automne en vue d’y introduire une céréale est une opération propice au relargage d’azote, et c’est précisément sur ce point qu’Emilien Claudepierre a souhaité intervenir. « On voulait trouver une solution pour consommer l’azote stocké dans la prairie plutôt que de le rejeter dans le milieu », se rappelle-t-il. Aussi a-t-il décidé de tester le retournement anticipé de ses prairies, au mois de juin après la première coupe, pour semer à leur place des cultures intermédiaires estivales consommatrices d’azote. « On a implanté des cultures tropicales qui ont un cycle très court, et surtout, qui poussent avec peu d’eau », explique l’agriculteur. D’abord un mélange moha-trèfle d’Alexandrie, puis il y a deux ans, du sorgho, du millet, du teff grass, ainsi que différents trèfles… « Il faut que ce soit des plantes gélives pour ne pas gêner la céréale qui suit », précise l’agriculteur.

Si le captage d’azote était l’intérêt premier recherché, ce n’est finalement pas le seul. Le retournement anticipé des prairies pour y implanter à la place un couvert intermédiaire lui a permis de se passer totalement du glyphosate pour détruire ses prairies, mais aussi de s’assurer la présence d’un pâturage estival notamment lors des périodes de sécheresse. 

Autres avantages

« Avant, on détruisait la prairie avec du glyphosate pour semer la céréale derrière », se souvient Émilien. Il est depuis revenu sur cette pratique en s’apercevant que le couvert implanté après la prairie faisait en quelque sorte office d’herbicide. « Installé pendant environ 90 jours, le couvert détruit mécaniquement l’ancienne prairie », explique-t-il. L’autre intérêt du couvert intermédiaire est de sécuriser le pâturage estival. Émilien produit du lait à Comté, avec un cahier des charges exigeant. Parmi les contraintes imposées, celle d’avoir au minimum un repas pris en pâture par jour durant la période de végétation peut vite devenir source de stress en cas de périodes arides. Pour Émilien, c’est un poids en moins d’avoir ce couvert sur lequel il peut compter. « C’est la seule chose qui pousse en été chez nous, sinon tout est jaune paillasson ! », s’exclame l’agriculteur.

Un projet en entraîne un autre

L’agriculteur aurait pu s’arrêter là, mais a choisi de faire encore un pas de plus vers l’indépendance vis-à-vis des produits phytosanitaires, cette fois-ci en s’intéressant à ses cultures de céréales. Tandis qu’il cultivait principalement de l’orge, il a décidé après mûre réflexion de s’orienter progressivement vers des méteils (orge, triticale, pois, vesce). Ses méteils, sur lesquels il n’applique aucun produit chimique, font preuve d’une régularité à toute épreuve. « Je fais tous les ans le même rendement, à savoir entre 40 et 50 quintaux, indique Émilien. L’avantage en mélange, c’est qu’il y a toujours une culture qui s’en sort mieux que les autres. » Sa culture d’orge, en revanche, ne lui paraît plus si rentable. Un rendement de 65 quintaux au maximum, pour beaucoup d’argent dépensé dans des produits phytosanitaires. « Un désherbant, deux fongicides, et des engrais azotés » liste l’éleveur. S’il a pu cette année se passer de désherbant en investissant dans une herse étrille, son objectif à terme est tout de même d’arrêter l’orge pure pour ne faire que du mélange. Par ailleurs, pour éviter les achats de fourrage, il a fait le choix de diminuer la taille de son cheptel.

Un projet de panneaux photovoltaïques en ligne de mire

Émilien fait partie des agriculteurs qui s’en sortent, grâce à des choix avisés bien entendu, mais aussi grâce à une situation privilégiée par rapport à celle d’autres agriculteurs dont il a parfaitement conscience. « La transition est plus facile chez nous cas nous avons une juste rémunération. On a la trésorerie pour pouvoir prendre des risques et pour changer le système », convient le jeune agriculteur. Prochaine étape : l’installation de 1 800 m2 de panneaux photovoltaïques sur les toits de ses bâtiments afin de gagner en autonomie énergétique sur l’exploitation.

À travers l’ensemble de ses actions, ce que recherche avant tout Emilien Claudepierre, c’est la sérénité dans son travail. Un état d’esprit qui semble peu compatible avec le métier d’agriculteur, mais qui n’est sûrement pas inatteignable, pour peu de faire, comme Émilien, les bons choix dans les bonnes conditions.