Mas Origine, un rêve lucide au cœur des vignes
À Montpeyroux, dans l’Hérault, Laura et Julien ont bâti de toutes pièces le Mas Origine. Derrière ce nom, il y a bien plus qu’un domaine viticole : l’histoire d’un couple qui, avec patience et audace, a transformé ses vies pour donner chair à une passion commune. Leur aventure dit beaucoup du courage et de la lucidité qu’il faut pour s’installer en agriculture aujourd’hui.
Deux vies, un virage. Laura Balsan, 35 ans, n’était pas prédestinée aux vignes. Infirmière à Montpellier, pompier volontaire, elle a longtemps jonglé entre ses gardes, ses patients et une vie familiale déjà bien remplie avec deux petits garçons. Mais dans l’ombre, une passion grandissait : le vin. À force d’accompagner Julien dans les dégustations, elle s’est formée, puis a fini par franchir le pas. En juillet 2025, elle décroche un BPREA (Brevet Professionnel Responsable d'Entreprise Agricole) en viticulture-œnologie et prépare son installation officielle, en Gaec avec son compagnon. Julien Fabregat, 34 ans, a lui aussi changé de route. Diplômé en logistique, il semblait promis aux entrepôts et aux flux de marchandises. Mais une vigne familiale, entretenue le week-end, et un travail au contact des vignerons ont réveillé une passion enfouie. À 27 ans, il reprend ses études et obtient un BTS Viti-Oeno à Montpellier, en alternance dans un domaine viticole en Pic-Saint-Loup. Major de promotion, il devient chef de culture puis maître de chai. L’envie de s’installer avec Laura devient alors une évidence. En 2022, Mas Origine voit le jour. Une page blanche, qu’ils choisissent d’écrire ensemble.
La montagne et les petites collines
Créer un domaine viticole en partant de zéro n’a rien d’un conte de fées. Julien et Laura en ont fait l’expérience. Ils ont investi toutes leurs économies, ont vendu leur maison, cherché des parcelles et affronter des démarches administratives interminables. Les débuts ressemblent à une succession d’épreuves : une première vinification dans la boue, une maison de location vétuste, des enfants ballotés au milieu des incertitudes. « Aujourd’hui, quand une galère arrive, on se dit que ce n’est qu’une colline, par rapport à la montagne qu’on a gravie », confie Laura avec un sourire. Cette lucidité est leur force. Derrière l’image d’un couple joyeux et accueillant, il y a deux travailleurs acharnés, prudents dans chaque choix, conscients que le moindre faux pas peut coûter cher. « On réfléchit dix fois chaque opération, chaque cuvée, chaque vigne. Rien n’est laissé au hasard », souligne Julien.
Mais à côté de ces obstacles, il y a eu des moments de grâce. La première vendange, les premiers raisins qui franchissent le seuil de la cave, les premières bouteilles mises au monde : autant de jalons qui restent gravés. « On a l’impression de vivre un rêve », résume Laura. Le couple se souvient aussi des grandes tablées organisées avec une cinquantaine de proches, où le vin s’est mêlé à la convivialité. Soutenus par leurs familles, leurs amis et leurs appellations - Montpeyroux, Terrasses du Larzac, Languedoc -, épaulés par la Chambre d’agriculture et la Safer, ils avancent désormais entourés. Les premières médailles et concours, comme leur participation à Graines d’Agriculteurs en 2024 à Besançon, sont venus renforcer cette confiance. « C’est souvent le regard des autres qui nous fait réaliser le chemin parcouru », admet Julien. Toujours habités par le doute, ils disent chercher sans cesse à progresser. Mais une certitude demeure : le travail, aussi rude soit-il, porte ses fruits.
Une histoire d’origines et de partages
Le nom « Mas Origine » n’est pas un hasard. Pour Laura et Julien, il raconte leurs racines, mais aussi leur volonté de bâtir un lieu de transmission et de convivialité. Dès la création du domaine, la famille s’est mise à contribution. Le grand frère de Julien prend en charge toute la logistique des matières sèches - bouteilles, bouchons, capsules, étiquettes -, tandis que le petit frère de Laura, infirmier mais aussi artiste, signe l’univers graphique du domaine. « Chaque bouteille, chaque étiquette a son histoire. On avait une page blanche, alors on a voulu créer un univers coloré, vivant, parfois un peu fou », explique Laura.
Les cuvées portent des noms évocateurs : « Ouverture de bal », leur premier rouge, pensé comme le lancement de leur aventure ; ou encore « Le voleur de temps », « À cloche-pied ».
Autant de fragments intimes, où chaque vin devient une pièce de récit. Pour marquer cette identité singulière, certaines gammes vont même jusqu’à proposer six étiquettes différentes dans un même carton. « C’est une façon de montrer que derrière chaque bouteille, il y a une part de nous », souligne Julien. Le projet, lui, dépasse la cave. Ferme pédagogique, accueil de scolaires, association des Amis du Mas Origine, grandes tablées de vendanges : « tout est pensé pour ouvrir le domaine et prolonger cette idée de partage. On n’est pas partis de rien, mais de nos origines. Des familles issues de l’immigration espagnole, où la cuisine et les grandes tablées font partie de l’ADN », rappelle Julien.
Leur choix de l’agriculture biologique s’est imposé comme une évidence. Julien ne connaît que ce mode de culture depuis sa formation. Le climat du Larzac s’y prête, et la démarche parle aux consommateurs. Le couple prend soin d’expliquer, lors des dégustations, pourquoi les traitements se font de nuit, dans le respect des cycles et avec un usage limité de produits. « Il faut communiquer, faire comprendre ce qu’on fait. C’est aussi ça, le rôle du vigneron aujourd’hui », insiste Laura.
Une trace pour demain
À Montpeyroux, Laura et Julien savent que leur empreinte dépassera leur propre aventure. Planter une vigne, c’est inscrire un paysage pour plusieurs générations. « Les ceps que nous mettons aujourd’hui en terre, ce ne sera pas nous qui les arracherons. Nous voulons transmettre une exploitation saine, respectueuse de la nature », insiste Julien. L’avenir se dessine aussi à travers l’installation officielle de Laura. Son projet, présenté comme la « deuxième partie » de Mas Origine, vise à transformer leur histoire commune en une véritable vie d’agricultrice, avec la création d’un Gaec familial. Elle imagine déjà un petit gîte, une table d’hôtes et surtout un espace pédagogique : un écosystème vivant où plantes, insectes et animaux cohabitent, ouvert aux familles et aux enfants.
« L’idée, c’est de faire découvrir Mas Origine autrement, en montrant la biodiversité qui nous entoure », explique-t-elle.
Côté vignes, Julien projette lui aussi à long terme. Le domaine repose aujourd’hui sur de vieilles parcelles, implantées sur de beaux terroirs. Mais l’heure est venue de penser au renouvellement : arrachages, replantations, introduction progressive de cépages blancs. « Notre ambition, c’est de pouvoir proposer, d’ici cinq à dix ans, des vins en appellation Terrasses du Larzac blanc », détail-il. Un projet en perpétuel mouvement, entre transmission et innovation, où chaque étape semble s’inscrire dans une vision plus large : laisser, demain, un domaine plus riche et plus ouvert que celui qu’ils ont reçu hier.
Dans cette histoire, rien ne se fait sans leurs enfants. Les deux garçons participent aux vendanges, vivent les galères comme les succès, choisissent parfois de passer leurs mercredis dans les vignes plutôt qu’au centre aéré. « Ils sont embarqués dans la vague avec nous », sourit Laura. Le couple veille toutefois à ne pas leur imposer de reprendre le domaine : l’essentiel est qu’ils grandissent avec des valeurs de travail, de passion et de partage.
La leçon d’un couple
Derrière Mas Origine, il y a une philosophie simple : croire en ses rêves, travailler dur, s’entourer, partager. « Si tu veux accomplir tes rêves, travaille », résume Julien. Laura et Julien bouillonnent d’énergie intérieure, mais c’est une sérénité joyeuse qu’ils offrent au visiteur. Ils forment une équipe soudée, humble et fière, lucide et passionnée. Leur aventure prouve qu’il existe des parcours remarquables en agriculture. Des histoires qui donnent envie d’oser, même sans héritage ni fortune.
À Montpeyroux, Mas Origine n’est pas seulement un domaine viticole. C’est la preuve vivante que la passion, si elle est lucide et patiemment mûrie, peut devenir un projet de vie durable et inspirant.
