Sur le terrain

« LE CLIMAT DANS 30 ANS N’AURA PLUS RIEN À VOIR AVEC CELUI D’AUJOURD’HUI. »

Originaire du Liban, Serge Zaka est arrivé en France à l’âge de deux ans. Après avoir travaillé comme chercheur à l’lnrae et l’ITK, il a lancé en début d’année 2023 son activité de consulting et de conférencier spécialiste en agroclimatologie. Très actif sur les réseaux sociaux, il a à cœur de vulgariser cette nouvelle science dans l’objectif de préparer l’agriculture de demain au changement climatique. Un de ses principaux faits d’armes est d’avoir été le premier et seul lanceur d’alerte à anticiper des pertes de rendements drastiques suite au gel d’avril 2021.

Serge Zaka_crédit Le Paysan vigneron (c)Mathieu Martines

Chercheur, agroclimatologue, conférencier, chasseurs d’orages, vous avez plusieurs casquettes, est-ce pour cela que l’on vous voit toujours avec un chapeau ?

(Rires). Oui ! Je suis aussi vice-président de l’association Infoclimat qui réunit les passionnés de météorologie en France, adhérent depuis mes 14 ans. Également chasseur d’orages, j’ai commencé à m’intéresser au climat dès l’âge de huit ans. Après le bac, j’ai choisi d’étudier l’agronomie, car je trouvais qu’il y avait finalement très peu de connaissances relatives à la météorologie appliquées à l’agriculture. Il me semblait important de faire le pont entre ces deux sciences. J’ai donc réalisé une thèse en agroclimatologie avec comme sujet l’impact de la température sur les prairies.

Quelle définition donnez-vous à l’agroclimatologie ?

Il existe deux définitions : l’agrométéorologie et l’agroclimatologie. La première permet de connaître les impacts de la météo sur le quotidien des agriculteurs. Si un gel est prévu, que faut-il faire ? Dois-je irriguer ? Semer ? L’agrométéorologie est une science décisionnelle de court terme qui cherche à garantir une production suffisante malgré les aléas. L’agroclimatologie est une science à dimension politique et socioéconomique, qui permet d’anticiper ce qu’il se passera sur un territoire donné à moyen long terme (en 2050), en identifiant les filières à développer, et en cherchant à identifier les espèces et variétés les plus adaptées au climat futur

Vous sillonnez la France en tant que conférencier agroclimatologue. Quel est votre objectif ?

Après avoir été pendant plusieurs années chercheur au sein des instituts Inrae et ITK, je suis devenu conférencier indépendant. Je travaille en parallèle avec des entreprises des secteurs agricole et alimentaire pour les aider à préparer au mieux l’agriculture qu’il y aura en 2050. Ce travail n’a rien de philosophique, il est scientifique c’est-à-dire qu’il se base sur des données climatiques concrètes. Les problématiques varient d’une entreprise à une autre. Sera-t-on capable de continuer de produire de la pêche dans certaines régions ? De même pour le blé ou le maïs ? Le but est de connaître les biogéographies futures soit les aires de répartition des cultures dans un contexte de remontée des climats

De remontée des climats du sud vers le nord ?

Tout à fait. D’ici 2050, le climat méditerranéen remontera vers Lyon et Bordeaux. L’objectif pour ces entreprises est de rester compétitives en termes de production et de qualité, en prenant en compte cette évolution : les cultures tempérées vont peu à peu être reléguées vers le nord de la France et les cultures méditerranéennes vont arriver dans le centre. Je collabore à ce titre avec de grandes entreprises de fruits et légumes françaises pour connaitre l’aire de répartition des futurs vergers en 2050. Ces derniers seront à planter en 2030 donc demain. Je participe à pas mal de conférences avec les interprofessions, les JA, les FDSEA, les coopératives et les politiques. Vu qu’il n’y a pas beaucoup d’agroclimatologues en France, tout le monde a envie et besoin de savoir ce qu’il va se passer en 2050.

Combien y a-t-il d’agroclimatologues en France ?

Près de quatre à l’Inrae d’Avignon, et moins de dix personnes au niveau du centre de recherche climatique basé à Dijon, et il y a moi. Je suis le seul qui vulgarise cette science au travers des réseaux sociaux.

Ce qui pourrait expliquer que vous soyez le plus connu ?

Oui, ce n’est pas que je sois le meilleur, mais je suis le plus visible, car j’en parle sur Twitter. Les autres spécialistes sont des personnes souvent plus âgées qui n’ont pas forcément d’affinités avec les RS. On est une petite dizaine d’agroclimatologues en France, ce qui n’est bien sûr pas du tout suffisant au regard de la demande et des besoins. Il n’existe pas dans notre pays de cursus d’agroclimatologie. On étudie l’agronomie, on étudie la météorologie, on a parfois quelques thèses sur l’impact du changement climatique en agriculture comme la mienne, mais il n’existe pas de formation spécifique qui traite de l’agroclimatologie. Je milite pour qu’un cursus soit créé !

La poignée d’agroclimatologues français suffira-t-elle à préparer le monde de demain ?

L’objectif d’un agroclimatologue est de garantir une production alimentaire suffisante pour le national et l’international en 2050. Il a un objectif politique. Pour cela il faut planifier. Si l’on continue de cultiver du maïs, blé, colza, tournesol au même endroit d’ici 2050, on aura forcément des pertes de rendements puisque le climat entretemps aura évolué. La majorité des spécialistes de l’agroclimatologie travaillent dans les centres de recherche, ils n’interviennent pas auprès du grand public ou des politiques, car ce n’est pas leur rôle, eux produisent de la connaissance scientifique. En ce qui me concerne, je suis vulgarisateur et conférencier, je suis le seul à consacrer 100 % de mon temps, à me déplacer partout en France à la rencontre des producteurs des différentes régions. Les gens découvrent cette nouvelle science à travers les réseaux sociaux, ils ont envie de connaitre, de comprendre et de réagir au mieux : en changeant de variétés, et en créant de nouvelles filières. Il n’y a pas d’agroclimatologue au ministère de l’Agriculture. Ce qui explique sûrement que l’on a des plans qui n’ont rien à voir avec ce qui va se passer en 2050 à l’image du plan protéines végétales. Son objectif est d’atteindre l’autosuffisance en légumineuses en doublant les surfaces d’ici 2030. Mais ce plan est complètement aberrant pour un agroclimatologue, car les cultures citées sont exactement les mêmes que dans les années 2000, comme si le climat sera resté figé alors que l’objectif est justement de préparer l’avenir. Il aurait fallu mettre de la lentille, du pois chiche, du soja. La majeure partie de ce plan est axé sur le pois protéagineux sauf que cette plante est l’une des moins adaptées au changement climatique, car très sensible aux fortes températures. Il aurait été plus judicieux de mettre du pois chiche, bien plus résistant aux fortes températures. C’est fou quand même, on est capable de créer des plans nationaux qui ne prennent pas en compte l’évolution du climat !

En 2021, vous aviez alerté des risques de pertes de rendement lors du gel au printemps. Comment ?

Vergé gelé.
Verger gelé. Crédit : Illustrez-vous.

J’ai été le premier et le seul lanceur d’alerte à cette période. Ni météo France, ni le ministère de l’Agriculture n’ont communiqué dessus. Il aura fallu qu’un jeune chercheur sur Twitter le fasse ce qui me parait assez incroyable. À notre époque, dans un contexte de changement climatique majeur, il n’existe toujours pas de système national de protection agricole face aux événements climatiques. Aucune instance de l’État n’a été fichue de prévenir les agriculteurs qu’une catastrophe arrivait, car elles n’avaient aucune structure pour le faire.

Qu’est-ce qui vous a permis d’être au courant avant les autres ?

Je connaissais l’état de floraison des végétaux, j’avais réalisé mes propres prévisions météo à l’aide de modèles, sortes de grands calculateurs qui permettent de prédire le temps qu’il va faire. Météofrance fait lui aussi des prévisions, mais en vue de protéger les biens et les personnes, il ne travaille pas sur l’impact des événements climatiques sur l’agriculture. Donc quand ils ont annoncé les prévisions à -4 à -7 °C en avril 2021, pour un météorologue cela n’a rien d’exceptionnel, mais pour un agrométéorologue tout dépend de la floraison des arbres. Si les arbres sont en fleur, -4 à -7 °C s’avèrent être des températures extrêmement dommageables et c’était le cas en avril 2021. C’est pour cela qu’à l’époque j’avais réalisé une carte de prévision des pertes de rendement, une première en France et je l’avais diffusée ensuite sur internet pour lancer l’alerte, dix jours avant la catastrophe.

Que vous disent les agriculteurs quand vous les rencontrez ?

Ce qui est intéressant c'est qu'il y a un échange avec les agriculteurs, je ne suis pas juste là pour faire une conférence. J'attends aussi que le public me critique. Et les agriculteurs me le disent sans problème : voilà ce résultat scientifique n'est pas cohérent avec ce que l'on observe sur le terrain. L'agroclimatologie n'est pas une science de bureau, mais de terrain. Par exemple, lorsque l'on fait des simulations sur l'agriculture de conservation des sols en vue d'augmenter le taux de matière organique, on suggère de semer des légumineuses à la sortie de l'été pour faire du couvert végétal. Et bien à plusieurs reprises les agriculteurs m'ont dit :
« Oui, mais monsieur Zaka, si vous plantez de la luzerne fin août il y a une forte probabilité qu'elle ne germe pas à cause de la sécheresse donc votre protocole expérimental a de forte probabilité qu'elle ne germe pas à cause de la sécheresse donc votre protocole expérimental  a de forte chances de ne pas être valable. » Avec eux, on cherche à identifier quelle espèce, variété pour quelle période, etc. Parfois en tant que chercheur on peut être hors sol si l'on n'a pas de contact avec le terrain. Mon objectif est justement d’éviter ce côté « chercheur à 100 % » comme j’ai pu l’être plus jeune en mixant impérativement cet aspect avec des remontées terrains afin de proposer des solutions opérationnelles. C’est ça faire la jonction entre la recherche et le terrain et c’est aussi ça que les agris, je pense, apprécient dans ma façon de faire : je ne me nourris pas que de chiffres ou d’images satellites, mais aussi et surtout de problématiques terrains.

" De toute la population française, les agriculteurs sont les plus conscients des enjeux du réchauffement climatique "

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération d’agriculteurs ?

J’ai observé une nette évolution chez les jeunes agriculteurs ces cinq dernières années, en lien direct avec la survenue des récents phénomènes extrêmes (l’effet « sèche-cheveux » le 28 juin 2019 dans le Languedoc, gel de 2021, sécheresse de 2022, etc.) Il y a cinq, même dix ans, les jeunes agriculteurs que je rencontrais me disaient souvent « on a le temps, on verra bien, on s’est adapté à beaucoup de choses. » J’observe que maintenant ils en sont parfaitement conscients puisqu’ils ont tous subi au moins un événement climatique. Selon moi, de toute la population française, les agriculteurs sont les plus conscients des enjeux du réchauffement climatique. Parce qu’ils observent les évolutions de la phénologie, de la sécheresse, du rendement, des écosystèmes en général. Ils ne font pas que regarder un thermomètre ou un graphique, ils le constatent sur le terrain tous les jours. C’est ça qui est agréable lorsque je travaille avec eux, c’est qu’il n’y a pas à les convaincre du changement climatique. Les jeunes agriculteurs sont prêts et volontaires. Pourtant l’agriculture n’évolue pas aussi vite qu’elle ne devrait. Pourquoi ? En réalité, ce n’est pas un manque de volonté des agris, mais des politiques.

C’est à dire ?

Lorsque je dis qu’il faut faire évoluer les filières agricoles, en mettant par exemple davantage de pistaches dans le sud de la France, car elles sont plus adaptées, les agris me disent « oui j’en ai planté, mais pour l’instant je n’ai pas d’acheteurs, ni de revendeurs, stokeurs, consommateurs. Il n’y a pas de filières agricoles. » Or, les agris répondent à une demande. La création des filières n’est pas que de leur ressort, il est aussi et surtout celui de l’État. Ce dernier doit investir massivement dans le futur de ces nouvelles filières. Auquel cas, nous accuserons toujours un retard dans le soutien de la transition agricole pour nous adapter au climat futur.

Aimeriez-vous faire passer un message à celles et ceux qui s’installent en agriculture ?

Qu’ils n’hésitent pas à la rupture avec ce que faisaient leurs parents et grands-parents. Hors de question pour autant de renier le passé familial, mais le climat qu’ils auront dans 30 ans, surtout pour les arboriculteurs et viticulteurs, n’aura rien à avoir avec le climat d’aujourd’hui. Les rotations ne seront peut-être plus maïs-colza-blé, mais plutôt pois chiche-sorgho-millet. Dans 30 ans, le paysage agricole sera complètement différent, il ne faut pas qu’ils loupent le coche et qu’ils regardent d’ores et déjà en fonction de leur région ce qui sera le plus adapté pour assurer la durabilité de leur entreprise agricole. Qu’ils n’hésitent pas à réfléchir à l’éventualité d’avoir de nouvelles cultures, de nouveaux cépages, de planter, par exemple dans le sud, des oliviers, des abricotiers, des figuiers en lieu et place des champs de maïs. De ne pas hésiter à aller plus loin dans la rupture et, cela va de pair, avec la création de nouvelles filières. Pour cela, l’appui de l’État s’avère déterminant.

Strip climatologue