Sur le terrain

La passion selon Quentin Boutte ? Une question d’altitude !

Lorsqu’il n’est pas affairé aux champs avec son père et son frère, Quentin Boutte, jeune agriculteur de 26 ans originaire de Meurthe-et-Moselle, aime se déconnecter de tout grâce à la pratique de la montgolfière. Une nacelle, un brûleur, et hop le voilà parti telle une bulle d’air vivre un instant unique à plusieurs centaines de mètres d’altitude. 

Quentin Boutte lors du mondial Air Ballon en 2021.
La montgolfière de Quentin dans les airs.

« Quand on est en vol, tout devient majestueux. Observer le paysage d’en haut, c’est un moment privilégié, de pur bien-être. J’adore piloter, et cette activité me permet aussi de voir du monde », témoigne Quentin Boutte, 26 ans, jeune agriculteur originaire de la commune de Dampvitoux en Meurthe-et-Moselle. Sa passion pour les gros ballons qui volent, Quentin l’a eue très tôt, sans que le hasard n’ait eu son mot à dire ! « Je vis à un kilomètre à vol d’oiseau de la base aérienne de Chambley-Bussières. Tous les deux ans y a lieu le plus grand rassemblement au monde de montgolfières départ aligné. » Cette manifestation mondialement connue appelée Air Ballon attire chaque année près de 500 000 spectateurs et 3 000 pilotes de toutes origines. Brésiliens, Australiens, Belges, Américains, Japonais se donnent rendez-vous pendant 10 jours pour battre un record : celui du plus grand nombre de montgolfières. Avec 456 montgolfières comptabilisées le 28 juillet 2017, un nouveau record a été battu.

Quentin Boutte.

« Quand je me réveillais, j’entendais le chant des brûleurs. »

À l’instar d’Obélix avec la marmite pleine de potion magique, Quentin est lui tombé « dans la nacelle » très tôt ! « Depuis tout petit, je vois des montgolfières. Elles passaient tout proche, et depuis ma fenêtre, j’entendais le chant des brûleurs », raconte empreint de poésie le jeune pilote qui a obtenu sa licence de vol en 2017 après avoir suivi une formation de deux ans. Une durée anormalement longue, mais qui s’explique dans son cas par plusieurs raisons. « Vu que j’étais encore à l’école (Bac pro CGEA dans une Maison Familiale Rurale, NDLR) et que mon instructeur était à Roanne (département de la Loire) à près de 500 km d’ici, je ne pouvais me libérer qu’en périodes de vacances scolaires, explique Quentin. Je dépendais également de la disponibilité de l’instructeur et du facteur météo. » Pour obtenir son diplôme, il a dû réaliser les 17 heures de vol minimum requises, et voler en solitaire à deux reprises ; en plus d’une partie théorique sous forme de QCM relatifs à la météo et à la réglementation de l’espace aérien.

Phase de décollage pour Quentin qui gonfle le ballon avec de l’air froid à l’aide d’un ventilateur avant de le réchauffer à coup de brûleur.

Son premier vol en solitaire

« J’avais une petite appréhension le matin en me levant », se remémore le jeune homme. Mais finalement, au bout de quelques minutes, la tension s’est dissipée. « J’ai été très vite rassuré, mon instructeur me suivait à côté dans une autre montgolfière, on communiquait par radio. En plus, les conditions météorologiques ce jour-là étaient excellentes, se rappelle Quentin qui précise que pour ces deux premiers vols “tests” en solitaire, des objectifs lui étaient donnés. Je devais atteindre des altitudes précises en utilisant différentes techniques. »

Pilotage d’une montgolfière : par ici le mode d’emploi !

Concentré, à cheval sur la technique, Quentin maîtrise son sujet. « La montgolfière applique le principe de la loi d’Archimède : l’air chaud est plus léger que l’air froid. Son enveloppe forme une bulle d’air. Plus on la chauffe, plus elle va être légère et donc monter. Pour chauffer, on utilise un brûleur qui fonctionne soit au propane (le meilleur combustible), soit au GPL (gaz liquéfié) soit au butane », détaille-t-il. Pour redescendre en altitude, la manœuvre s’avère un poil plus technique. « Il faut savoir qu’en règle générale, pour conserver une même altitude, on brûle en moyenne pendant trois secondes et on attend 20 secondes. Pour descendre, on peut soit diminuer les temps de chauffe, en réduisant de trois secondes à une seconde l’utilisation du brûleur. Soit on décide de continuer de brûler pendant 3 secondes, mais en augmentant le temps d’attente, en passant par exemple de 20 secondes à 30 secondes. »

Il existe également une autre option : « Dans la conception de la montgolfière, tout en haut, il y a ce que l’on appelle la soupape. À l’aide d’une corde, on va la tirer grâce à un système de poulie, ce qui va générer un “trou” entre l’enveloppe et la soupape, libérant de l’air chaud et permettant de descendre plus vite. »

Après cinq ans de pratique loisir et quelques centaines d’heures de vol à son compteur, Quentin est ce que l’on peut appeler un pilote expérimenté. Il est tout de même conscient de l’importance de pratiquer encore et toujours. « Même si, comme le vélo, ça ne s’oublie pas, c’est essentiel de voler régulièrement pour ne pas perdre le ressenti. »

Vue majestueuse depuis la montgolfière.
Vue majestueuse depuis la montgolfière en plein vol.
Photo prise pendant le mondial Air ballon.

Une activité qui reste périlleuse 

À l’observer de loin, la montgolfière apparaît sereine dans les airs, mais sa pratique demeure une activité risquée. Les lignes électriques figurent parmi les principales causes d’accident. « On voit les poteaux, mais on a du mal à distinguer les fils. Le risque majeur est que les câbles métalliques qui relient l’enveloppe à la nacelle touchent les fils et créent un arc électrique », observe Quentin. L’autre grand danger est celui de la déchirure. « Lors d’une collision entre deux montgolfières, ce qui reste fort heureusement très rare, il y a un risque si la nacelle composée de rotin (fibre végétale) touche l’enveloppe. »

Pour ce qui est des situations mal embarquées, Quentin en a une qui lui revient très précisément en mémoire. « Peu de temps après mes débuts, j’étais sorti avec une autre montgolfière dont le pilote était un peu plus expérimenté que moi. Avant de décoller, j’avais vu des nuages à forte activité thermique à 60 km de là, et je n’étais pas rassuré. Mais comme l’autre pilote avait déjà décollé, j’y suis quand même allé », raconte le jeune pilote. Mais au bout de quelques minutes seulement, la situation s’est dégradée. « On avait décollé au calme, mais le vent en altitude s’est vite accéléré, et lorsque j’ai voulu atterrir au bout de 15 minutes de vol, le vent soufflait à 45-50 km/h. Il y avait une marre sèche en forme de cuvette, ce qui a été ma chance ! », poursuit-il. Car au moment d’atterrir, le vent soufflait tellement fort qu’il a fait basculer la montgolfière à l’horizontale la trainant au sol sur près de 250 mètres. « Le vent rentrait dans ce que l’on appelle la bouche, ce qui empêchait l’enveloppe de se dégonfler. Ce qui m’a sauvé, c’est cette petite marre. Lorsque la montgolfière est passée dessus, le panier s’est mis dans la cuvette, l’air a aplati la bouche et a vidé le ballon, ça m’a arrêté net ! »

De cet incident malheureux, Quentin retire deux leçons majeures : « Ça m’a appris à faire une bonne analyse météo avant chaque vol. Maintenant, dès l’avant-veille, je me renseigne en allant sur trois sites spécialisés différents et je recoupe les informations. Ça me donne déjà une bonne idée de la tendance. Et le jour J, je refais une météo plus approfondie qui me valide ou non le décollage. C’est n’est qu’une heure avant seulement que je sais si je peux décoller ou pas. Cette mauvaise expérience m’a aussi appris à me faire plus confiance et à écouter mon ressenti premier. »

Phase de décollage pour Quentin.

« Tu sais toujours d’où tu décolles, mais tu ne sais jamais où tu vas atterrir. »

La pratique de la montgolfière et le travail en agriculture, ont ceci de commun qu’ils dépendent tous deux du facteur climat. « En tant que pilote, tu sais toujours d’où tu décolles, mais tu ne sais jamais où tu vas atterrir », fait observer Quentin. L’occasion pour lui de faire une mise au point. « L’idéal pour atterrir, c’est dans un champ. Mais j’aimerais néanmoins dire à mes collègues agriculteurs que tout est fait à chaque fois pour endommager le moins possible le champ concerné. Par exemple, en avril-mai, quand les cultures sont hautes, je m’efforce d’atterrir ailleurs, sur des chemins ou des routes peu fréquentés. Mais si on a des passagers à bord, avec un risque majeur lié à une fuite de gaz, un malaise passager ou autre, la seule solution, c’est d’atterrir au plus vite. Dans ces cas exceptionnels, que le champ soit semé, moissonné ou non, peu importe, la procédure d’urgence doit s’appliquer, car la vie de ceux qui sont dans la nacelle est en jeu », souligne le jeune aérostier. Ce sujet lui tient d’autant plus à cœur qu’il est lui-même agriculteur, et qu’il comprend parfaitement le mécontentement de certains de ses homologues lorsqu’ils constatent que leurs champs ont été esquintés par l’atterrissage d’une montgolfière.

Dans sa nacelle, juché à quelques centaines de mètres dans les airs, Quentin a trouvé son moyen à lui de méditer les yeux ouverts.

Grâce à sa passion, Quentin s’est forgé une bande de copains dispatchée dans toute la France. Chaque année, lui et ses amis essaient de se retrouver dans une région pour pratiquer ensemble leur passion. « On s’invite les uns chez les autres, on voyage, c’est comme ça que je découvre d’autres paysages. Il y a deux ans, je suis parti en Normandie, j’ai vu la mer d’en haut, c’était impressionnant ! », se souvient Quentin. 

La montgolfière ou le plaisir de prendre le temps d’observer, de découvrir autrement son environnement, et de s’abandonner à la rêverie. Dans sa nacelle, juché à quelques centaines de mètres dans les airs, Quentin a trouvé son moyen à lui de méditer les yeux ouverts en admirant les contrées vallonnées et joliment irriguées de sa région natale et d’autres territoires lorsqu’il part en vadrouille. « La montgolfière peut aller très haut dans les airs, mais l’altitude idéale se situe pour moi entre les 250 et 300 mètres, car plus haut on ne voit pas grand-chose. Tout l’intérêt est de partir à la découverte, de voler au-dessus des forêts, de voir le gibier et les oiseaux se déplacer, de sentir les arbres, les champs de colza, et se mettre ainsi au diapason de ce qui nous entoure pour ressentir des émotions », partage finement ce jeune agriculteur aux pieds sur terre et à la tête dans les nuages.

Quentin Boutte n’est pas encore installé. À la recherche d’une ferme à reprendre, il prend pour l’heure son mal en patience. Et qui sait s’il ne repèrera pas sa future ferme à l’occasion d’un énième voyage en ballon ? La montgolfière, discrète et majestueuse, n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets. Affaire à suivre donc… de haut !

Photo prise lors d’un survol du fleuve de la Meuse à côté de Verdun.
Photo prise lors d’un survol du fleuve de la Meuse à côté de Verdun.