Sur le terrain

Clément Duhal, l'agriculteur qui cultive les rimes

Clément Duhal 26 ans est jeune agriculteur dans la Marne. En plus de s’occuper des cultures sur l’exploitation familiale, il écrit des poèmes. Il a déjà à son actif deux recueils de poésie.

Clément Duhal

 

C’est dans les vastes plaines de la Marne, à Hans, que Clément Duhal habite depuis  sa  plus  tendre enfance. Moustache recourbée aux extrémités, regard enjoué qui laisse deviner beaucoup de bienveillance, le jeune homme travaille comme salarié agricole sur l’exploitation familiale. En plus de s’occuper des 12 variétés de cultures que compte l’exploitation, il s’adonne à une pratique qui semble se faire de plus en plus rare à notre époque.
Loin 
des réseaux sociaux, influenceurs et autres stars d’internet, Clément est poète. Depuis plus de cinq ans, il allie la rigueur de l’agriculture à la sensibilité de la poésie. Son inspi- ration débordante et son amour des mots lui ont permis de sortir deux recueils intitulés « Sensations » et « Émotions ».
Presque rien ne prédestinait l’agri- culteur-poète, à se lancer dans le secteur agricole : « Depuis tout petit, ce qui m’intéresse vraiment c’est la nature, mais je dois dire que je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. J’ai toujours baigné dans les tracteurs, les moissons et les champs, mais ce n’était pas vraiment mon projet quand j’étais au lycée. Je me suis donc orienté vers un bac S, car je suis très scientifique. Si en première je n’avais toujours pas d’idée sur mon futur, une fois mon bac en poche je me suis dit qu’il serait quand même dommage de laisser filer l’exploi- tation familiale. C’est comme ça que je me suis tourné vers un BTS agronomie et production végétale. » Le cadet de la fratrie rejoint ainsi son père sur les 280 hectares de grandes cultures.

Bien loin de son bac S, Clément se plait maintenant à sillonner les champs avec son chien, à travailler la terre qui l’a vu naître et à admirer chaque soir le soleil se coucher sur sa Marne natale.

La poésie dans l'âme

Les deux recueils que Clément Duhal a sorti.
Les deux recueils que Clément Duhal a sorti.

Quand il décide de me faire visiter les nombreux recoins qui lui tiennent à cœur dans le village, Clément se transforme en guide passionné par la nature et l’histoire qui l’entoure. Il n’est pas rare qu’au beau milieu d’un chemin, entre un champ et un hangar en taule, il s’arrête pour cueillir une plante aux abords d’un ruisseau. « Goûte ça ! C’est de la menthe qui pousse dans l’eau », commente l’agriculteur en portant à la bouche sa découverte. La visite prend alors une tournure poétique. Clément évoque la lumière du soleil sur les champs de blé, les vertes forêts qui bordent les cultures ou encore le clocher de l’église du village voisin qui sonne au beau milieu du paysage. Dans sa bouche, tout devient poésie. Les mots sont choisis, percutants, glissent sur les blés comme les vers d’un sonnet.

J’ai écrit mon premier texte lorsque j’étais au foyer de mon lycée.

Au fil de notre déambulation, le jeune homme parle d’histoire, d’écologie, de bon sens paysan, mais aussi de diversification et de renouvelle- ment des générations.
Tous ces thèmes se retrouvent dans ses écrits. Pourtant, ce n’est pas en parcourant les plaines de l’exploitation que la poésie s’est ancrée en lui. « J’ai écrit mon premier texte lorsque j’étais au foyer de mon lycée. Tous mes camarades avaient choisi une option sportive, mais pas moi. J’avais quatre heures de mon temps à tuer. Instinctivement, j’ai pris une feuille et j’ai commencé à écrire. J’ai pensé à un paysage, j’ai tout simple- ment commencé comme ça. Je venais de mettre sur papier mon tout premier poème nommé « splendeur automnale » », se souvient-il.

Voyage au bout de l'inspiration

Clément Duhal est un passionné de la nature.
Clément Duhal est un passionné de la nature.

Amoureux de la nature, Clément a pas mal bourlingué. Autant de voyages qui ont été des sources d’inspiration. « En 2019, j’ai fait une randonnée au Puy Mary en Auvergne. J’ai beaucoup aimé les paysages chan- geants, la lumière tôt le matin et tard le soir. Cette expérience a donné lieu à un poème intitulé « Voyage en Arvernie ». Avec des amis, j’ai aussi fait le lac d’Annecy. C’est de là qu’a été tirée la couverture de mon premier recueil. »
Les paysages ne sont pas ses seules influences, même si la nature reste son principal fil rouge. Il affectionne aller à la pêche et la chasse. « Quand je vais à la chasse, je me poste et bien souvent je ne tire pas. J’aime regarder ce qu’il se passe autour de moi, j’aime le silence des lieux. À force de diva- guer, je me fais d’ailleurs reprendre, car je ne tire pas (rires). Pour ce qui est de la pêche, je trouve ça très reposant et poétique. » Des poèmes en lien avec ces deux passe-temps se retrouvent aussi dans ses deux premiers livres.

 

L’agriculture comme héritage poétique

Un poème de Clément Duhal.
Un poème de Clément Duhal.

Si les paysages et la nature sont pour lui des sources inépuisables d’inspi- ration, son quotidien occupe aussi une place prépondérante dans ses recueils. Et sa vie à lui, depuis tout petit, c’est l’agriculture !

Alors que nous feuilletons ensemble la table des matières de l’un de ses livres, je le questionne sur un poème dont le titre m’interpelle : « Le poids des générations. » « C’est un sujet qui me tient à cœur. Dans ma fratrie (il a deux autres frères, NDLR), j’ai été le seul à vouloir reprendre l’exploi- tation familiale. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’était un devoir, mais presque. Ça aurait été dommage d’arrêter tout ce que mes ancêtres avaient réussi à construire jusque là. Mais ce n’est pas simple, et il faut reconnaître que parfois cet héritage est un poids à porter », confie-t-il.

Un poète à cœur ouvert

À travers ses écrits, on découvre un poète qui aime partager ses sentiments. En s’immergeant dans ses propres émotions, Clément se dévoile complètement à ses lecteurs. Cet exercice, délicat pour les artistes, revêt pour lui une grande importance. « Pour être franc, ce n’est pas toujours facile. Le plus dur, ce n’est pas le regard des inconnus, mais bien celui des gens qui me connaissent. Pour le premier tome, je ne savais pas ce qu’ils allaient penser de moi. D’autant plus qu’aujourd’hui, les réseaux sociaux nous uniformisent. Mais, écrire mes ressentis m’aide à analyser mes pensées, c’est une véritable thérapie. Cela peut également inciter mes lecteurs à réfléchir. Peut- être que certains comprendront qu’il est essentiel de rester fidèle à soi-même ! » Les appréhensions de Clément ont vite été balayées par les retours de ses proches : « Ils ont tous trouvé ça génial ! »

 

Les champs ont une importante dans les écrits de Clément Duhal.

De la conception à l'édition

Comme tous les poètes, le jeune agriculteur a son propre processus de création. « Un poème peut être écrit en plusieurs mois, en quelques jours ou quelques heures. Ce n’est pas une science exacte ! Actuellement, j’ai cinq textes inachevés sur mon téléphone. Souvent, quand je suis dans le tracteur, deux ou trois phrases me viennent à l’esprit, je les note pour y revenir dessus après. »
Ses deux premiers recueils comptent chacun 48 textes. « J’aime bien le chiffre 48, c’est un multiple de 12 et ça tombe bien, car j’ai décidé de faire 12 tomes ! » On notera au passage son côté scientifique, jamais très loin ! Une dizaine de nouveaux textes sont d’ailleurs prévus pour alimenter le troisième tome. « J’ai mis cinq ans à écrire chaque recueil. Je vais essayer d’aller un peu plus vite pour le prochain », promet le jeune poète. 
Pour ce qui est de l’éditeur, la tâche a été un peu plus ardue. « Au début, je cherchais une maison d’édition aux alentours de chez moi. Je voulais rester sur quelque chose de local, mais je ne trouvais pas. Je me suis alors tourné vers la capitale et c’est comme ça que j’ai trouvé mon éditeur (maison « Les 
trois colonnes », NDLR). J’ai envoyé le manuscrit et j’ai eu un retour positif. » Clément a signé un contrat en édition participative, ce qui signifie qu’il doit prendre en charge les frais de maquette. « Pour la vente, la maison d’édition passe par les revendeurs sur internet. De mon côté, j’en vends à la famille, à des amis et à des lecteurs sur des marchés ou à l’occasion de salons dédiés aux livres. »

Dans les pas de Rimbaud

Arthur Rimbaud (1854-1891).

Si aujourd’hui le marché du livre n’est pas très rentable, comme il le reconnaît lui-même, le jeune homme l’accepte avec humour. « Je me dis que si ça ne se vend pas mainte- nant, ce sera sûrement le cas après ma mort ! » Et il a raison ! Combien de poètes célèbres peuvent se vanter d’avoir été reconnus de leur vivant ?
Des propos qui rappellent qu’un autre grand poète que Clément aime beaucoup, Arthur Rimbaud, a connu une notoriété posthume. Né à Charleville, non loin des plaines de la Marne, Rimbaud a également trouvé son inspiration dans la nature et les paysages de son enfance. Si ce dernier a choisi d’arrêter la poésie à l’âge de vingt ans, Clément, lui, pour- suit son chemin poétique tout en embrassant sa vocation agricole.

Rimbaud disait : « La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde », Clément Duhal, lui, a décidé de vivre pleinement dans ce monde en menant sa vie d’agricul- teur-poète.