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Rendre plus coopératives des plantes performantes, un défi pour les semenciers

L’identification de « gènes coopératifs » pourrait être une façon d’augmenter significativement les rendements des plantes cultivées.

Blé

Sélectionner des individus performants, mais destinés à vivre en groupe, suppose de prendre garde à ce qu’ils ne soient pas trop agressifs. Un exemple classique est celui des programmes spatiaux habités : après qu’un stage d’entrainement se soit terminé par un violent échange de coups de poing entre deux astronautes d’élite russes en 1999, une refonte radicale des procédures de sélection eût lieu, visant à écarter tout candidat trop belliqueux, quand bien même il serait excellent. Plus proches du plancher des vaches, les éleveurs n’en sont pas moins confrontés au même problème, qu’ils connaissent bien : il leur faut certes des animaux vigoureux et résistants, mais ils ne doivent pas pour autant attaquer et blesser leurs congénères, sous peine de détériorer le résultat de l’élevage.

Ce qui vaut pour les humains et les animaux est également vrai des plantes. Si elles sont uniquement sélectionnées sur la base de leur performance individuelle, cela génère le risque qu’au champ, entourées de congénères, ces plantes se révèlent trop « agressives » et nuisent à la performance de la parcelle. Comme les animaux, les plantes ne se comportent en effet pas de la même manière isolément ou en présence de possibles rivales, et elles ne réagissent pas toujours avec la même vigueur à la proximité de ces dernières : il en est de plus coopératives, et d’autres plus compétitives.

Eviter des plantes trop "agressives"

Il est en réalité fréquent qu’en contexte de concurrence, la réaction d’une plante nuise à la performance collective. L’exemple le plus classique étant de pousser plus haut, pour dominer les rivales, un investissement dans la taille qui détourne une partie des ressources de la plante, aux dépens de la production de graines ou de tubercules, par exemple, et abaisse le rendement.

Empiriquement, les semenciers ont certes sélectionné contre certains de ces caractères individuellement utiles mais collectivement nuisibles : la propension à pousser haut, ou à buissonner, ou bien à étaler ses feuilles – les maïs actuels, par exemple, développent leurs feuilles verticalement et non horizontalement, afin de préserver la performance des voisins.

Mais les semenciers ne voient pas tout, notamment ce qui se passe sous le sol. Certaines plantes augmentent considérablement leur volume racinaire en présence de concurrentes, détériorant ainsi leur productivité. Plus difficile à voir encore, certaines plantes émettent des exsudats, des sécrétions racinaires, qui freinent la croissance de leurs voisines, sans que le mécanisme en soit toujours compris. Une expérience (effectuée dans des pots) publiée en 2019 montra ainsi une performance nettement moindre chez deux plants de blé dont les racines étaient séparées par un filet perméable, plutôt que par une barrière étanche, suggérant l’existence d’une guerre chimique souterraine coûteuse entre les deux végétaux.

Guerre chimique souterraine

Comme beaucoup d’articles scientifiques paraissent depuis quelques années sur la coopération entre les plantes, et sur l’existence de mécanismes ressemblant à de l’entraide chez certaines espèces d’arbres, les chercheurs s’intéressent désormais à l’existence de gènes « coopératifs », qui rendraient les plantes plus tolérantes à la présence de voisines. Identifier de tels gènes n’est pas chose facile lorsqu’ils portent sur des caractères invisibles à l’œil (contrairement à la hauteur de la plante), par exemple des caractères physicochimiques. Mais plusieurs équipes commencent à développer des procédures pour détecter les variétés « coopératives ». Par exemple en comparant, via des dizaines voire des centaines d’essais en pots, la façon dont diverses lignées se comportent au contact les unes des autres. Ce qui permet de choisir les plus pacifiques à l’égard de leur voisinage, et d’identifier ces possibles gènes « coopératifs ».

Ces méthodes vont-elles inspirer les semenciers, qui doivent pour ce qui les concerne faire des essais de bien plus grande échelle ? L’avenir le dira. En tous cas pour beaucoup d’experts, il pourrait y avoir là un important gisement de rendement, jusqu'ici négligé du fait de notre obsession de la performance.