Sur le terrain

Le maraîchage bio, une aventure de tous les jours pour Jules Gautier

Après une expérience d’un an et demi en Roumanie en tant que second d’exploitation, voilà maintenant un peu plus de trois ans que Jules Gautier est revenu travailler dans la ferme familiale située à Dampierre-sur-Brou, en Eure-et-Loir. Sous l’impulsion de son père, Christophe, l’exploitation s’est diversifiée dans le maraîchage biologique il y a cinq ans. Père et fils cultivent entre autres des cornichons, des piments, des plantes aromatiques et du maïs popcorn, qu’ils commercialisent sous leur propre nom, La récolte des Gautier.    

Jules Gautier (c) Clémentine Vignon
Christophe et Jules Gautier (c) Clémentine Vignon

C’est dans le Faux Perche, petite région agricole d’Eure-et-Loir coincée entre le Perche et la Beauce, que Jules Gautier et son père, Christophe, cultivent toutes sortes de céréales, mais aussi des cornichons et autres produits maraîchers en agriculture biologique. Cela fait déjà cinq ans que l’exploitation s’est diversifiée dans le maraîchage bio, à l’initiative de Christophe, d’abord sur quatre puis six hectares. « Je voulais trouver une activité qui me permette de continuer à m’occuper quelques années de plus une fois à la retraite, mais ce qui m’a vraiment motivé à me lancer, c’est l’arrivée de Jules sur l’exploitation », explique Christophe. L’agriculteur songe à prendre sa retraite peu après l’installation de son fils, prévue le 1er septembre 2023. Il en profitera pour voyager en France, avec toujours quelques pots de cornichons dans son baluchon, dans l’optique de trouver de nouveaux débouchés. « Je ne vais pas m’ennuyer ! » assure-t-il.

Le filon du cornichon

Pots de cornichon (c) Clémentine Vignon

D’où lui est venue l’idée de produire des cornichons ? Quand on le lui demande, Christophe répond simplement qu’il « ne voulait pas faire comme tout le monde ». De 500 pots de cornichons la première année, les Gautier en produisent désormais 6 000 sur un demi-hectare. Malgré tout, ils misent sur la qualité plutôt que sur la quantité, et leur production est restée artisanale. C’est que la récolte des cornichons, qui a lieu en même temps que la moisson, grosso modo du 5 juillet au 10 août, n’est pas de tout repos. « On récolte les cornichons tous les matins à partir de 6 h, puis l’après-midi on les lave, et on les met en pot avec du vinaigre, des graines de moutarde, du poivre et du sel » détaille Jules. Pendant un peu plus d’un mois, la récolte a lieu scrupuleusement tous les jours. Les cornichons sont cueillis quand ils font la taille d’un petit doigt. Sachant qu’ils poussent très vite, une récolte journalière est nécessaire pour ne pas dépasser ce calibre. « Si on le laisse pousser, le cornichon devient aussi gros qu’une courgette ! » indique Jules.

La récolte, manuelle, nécessite l’embauche d’une main-d’œuvre saisonnière. Le coût de cette main-d’œuvre suffit à expliquer la différence de prix entre les cornichons produits en France et ceux en provenance d’Inde, qui constituent la quasi-totalité des cornichons que l’on achète aujourd’hui en France.

Le discret retour du cornichon en France

Alors que les Français sont de grands amateurs de cornichons, la production de ce « petit concombre » est aujourd’hui anecdotique en France. Une centaine d’hectares seulement étaient cultivés en 2020. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. C’est en Bourgogne, dans le département de l’Yonne, que le cornichon a connu son heure de gloire. Jusqu’au jour où des industriels tels que Amora-Maille ont décidé de s’approvisionner à l’autre bout du monde, et plus particulièrement en Inde, pour plusieurs raisons : une main-d’œuvre beaucoup moins chère et un climat idéal permettant de faire trois ou quatre récoltes par an au lieu d’une seule l’été en France.

Dans les années 2000, les industriels se sont ainsi progressivement détournés des producteurs français pour encourager et soutenir le développement de la culture du cornichon en Inde. En 2009, l’usine d’Amora-Maille située à Appoigny (Yonne) a fermé définitivement ses portes. Un tournant pour ce petit légume biscornu, dont la présence sur le sol français n’était plus la bienvenue.

Mais depuis quelques années, on constate un regain d’intérêt pour la production française de cornichons. L’entreprise Reitzel, qui avait elle aussi créé une filière d’approvisionnement en Inde (en 2005) s’attache depuis 2016 à relancer la production de cornichons en France en nouant des partenariats avec des cultivateurs locaux. Indépendamment des industriels, d’autres agriculteurs tels que Jules et Christophe Gautier en Eure-et-Loir, remettent au goût du jour ce légume oublié de nos sols, mais pas de nos assiettes.

Des produits déshydratés synonymes de liberté

Menthe déshydratée (c) Clémentine Vignon

Chez les Gautier, aucune année ne ressemble à la précédente. Déjà, car, comme tous les agriculteurs, ils s’en remettent à la météo, mais aussi parce que tous les deux ont un goût assez prononcé pour l’expérimentation. Depuis quelques années, ils développent la vente d’herbes aromatiques déshydratées. D’abord de l’estragon il y a trois ans, puis du persil et de la ciboulette l’année dernière. Cette année, le basilic, la coriandre et la menthe sont venus compléter le bouquet d’aromates. Les feuilles sont d’abord séchées dans un déshydrateur, puis émiettées et conditionnées en petits pots. Idem pour le piment rouge « type piment d’Espelette » qu’ils récoltent au début du mois d’octobre. Lui aussi passe par la case déshydrateur afin d’être vendu sous forme de poudre. Père et fils produisent aussi sur l’exploitation de la farine de blé tendre en conventionnel, et de la farine de maïs bio, grâce à leur moulin à farine Alma Pro. Si dans un premier temps, ils ont essayé de produire des légumes frais en plus du reste, ils ont finalement décidé de se focaliser sur la commercialisation de produits secs pouvant se conserver. Un gage de liberté et de flexibilité :

« On peut les stocker et les vendre quand on veut et à qui on veut, sans être obligés de céder à la pression des acheteurs qui essayent toujours de tirer les prix vers le bas »

Cette année, ils tentent la moutarde, sur une parcelle ayant accueilli de la luzerne l’année précédente. « On verra bien ce que ça donne ! » lance Jules avec prudence. L’expérience lui a prouvé que rien n’est jamais joué d’avance. D’autant plus sur un terrain comme le leur où « l’herbe pousse beaucoup trop bien ». « On est sur d’anciennes terres d’élevage, il y a dans les sols une réserve en graines inépuisable. En trois semaines, un terrain nu devient un stade de foot ! », plaisante le jeune agriculteur malgré des situations parfois loin d’être drôles.

Des pertes inévitables

« C’est la troisième année qu’on rate nos lentilles. Cette année encore on va broyer nos deux hectares de lentilles qui sont envahis par les mauvaises herbes » explique Jules, un peu dépité. Il a bien conscience de son impuissance face à l’imprévisibilité de la nature. Les premières années, ils ont pourtant essayé avec son père d’appliquer des produits phytosanitaires compatibles avec l’agriculture biologique, et même du vinaigre qu’ils avaient en stock pour leurs cornichons. Mais en vain. Aujourd’hui, ils s’accommodent des pertes et font preuve de philosophie. « Si la culture marche, tant mieux, sinon tant pis. » Quand c’est possible, ils cultivent sur bâche perforée. « L’année dernière, l’herbe a étouffé nos maïs grain et popcorn, on a donc décidé de les cultiver sur bâche cette année », indique Jules. Le regard satisfait qu’il a lorsqu’il contemple sa parcelle de maïs confirme qu’il a fait le bon choix. Cette année, renouées et autres mauvaises herbes se sont tenues à l’écart de ses maïs.

Des mois d’été bien occupés

Sur l’exploitation des Gautier, la partie maraîchage occupe essentiellement les mois d’été. Hormis le maïs qu’ils plantent entre fin avril et début mai, ils ont fait le choix de planter leurs cultures, dont celles de cornichons et de piments, plus tardivement, au mois de juin, « pour éviter la grêle ». Après des tentatives infructueuses pour faire eux-mêmes leurs plants, ils ont finalement décidé de continuer à les acheter en pépinière. « Il y a moins d’incertitudes, on est sûrs de la quantité qu’on a, et cela nous évite d’investir dans des serres », précise Jules. L’irrigation se fait grâce à un système de goutte-à-goutte, pour l’instant raccordé à l’eau du robinet. Mais cela devrait évoluer d’ici peu. Le père et le fils viennent tout juste de nettoyer un ancien puits de 32 mètres de profondeur dans l’optique d’y puiser l’eau.

Après la récolte des piments début octobre, qui annonce la fin de la saison maraîchère, « on arrache tout, on débâche et on retire le système de goutte-à-goutte ». « L’hiver, à part passer des coups de déchaumeur, on n’a pas grand-chose à faire en maraîchage », poursuit Jules.

La récolte des Gautier
Jules et Christophe Gautier vendent leurs produits sous le nom de marque La récolte des Gautier. (c) Clémentine Vignon

Le label Agriculture Biologique

Cela fait déjà trois ans que les produits des Gautier sont labellisés Agriculture Biologique (AB). Un choix qu’ils ne regrettent pas, même s’ils « galèrent pas mal avec le bureau de certification Veritas ». Des retards dans le traitement de leur dossier, cumulés à des erreurs fréquentes dans la liste de leurs cultures déclarées en AB, leur ont déjà fait perdre du temps et quelques clients.

Les Gautier vendent directement leurs produits en agriculture biologique à des épiceries fines. « On ne veut pas aller dans les GMS, car ce sont des produits de luxe », considère Christophe Gautier. Une qualité qu’ils revendiquent fièrement à travers leur nom de marque La récolte des Gautier. Les quelques personnes qui leur ont d’ailleurs proposé de racheter leurs cornichons frais pour les commercialiser sous un autre nom ont essuyé un net refus. C’est beaucoup trop de travail et d’investissement pour ne pas aller jusqu’au bout de la commercialisation, estiment les agriculteurs. Surtout qu’ils ne peuvent pas bénéficier de l’aide au maintien de l’agriculture biologique, étant très loin des 98 % de la surface agricole utile (SAU) convertie en agriculture biologique nécessaires pour être éligible à cette aide. En revanche, ils touchent des aides à la conversion sur une durée de cinq ans. Celles-ci s’arrêtent cette année pour les quatre premiers hectares engagés en AB en 2018, et prendront fin en 2024 pour les deux autres hectares convertis deux ans plus tard.

Malgré tout, l’objectif de Jules ces prochaines années est bien de « développer le bio, même si l’échelle reste encore à définir ».