Installation

Installation des agricultrices : le renouvellement des générations passe par là

Le 8 mars dernier, journée internationale des droits des femmes, Julien Denormandie n’a pas caché sa préoccupation quant à la stagnation, depuis plus de 10 ans, de la part des femmes cheffes d’exploitation (24,3 % en 2019). Si les inscrites dans les établissements agricoles ne manquent pas, trop peu semblent se destiner à l’installation. Décryptage.

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« J’ai toujours voulu reprendre la ferme de ma mère », se rappelle Manon Pisani, élue JA national qui devrait quitter son poste de cheffe d’élevage, salariée dans une ferme porcine du Tarn-et-Garonne d’ici la fin de l’année. « Aujourd'hui, elle s’occupe seule des juments avec ses salariés. J'aimerais en faire de l’​​​​​​​élevage de porc », évoque la future exploitante de 27 ans, alors que son père, lui, n’évolue pas dans le monde agricole.

Une passation mère-fille comme le ministre de l’Agriculture aimerait sûrement en voir plus souvent. Le 8 mars dernier, c’est un constat préoccupant que Julien Denormandie partageait au cours de la table ronde organisée dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes : celui d’une « stabilité depuis une décennie » de la part des femmes en agriculture (près de 30 % des actifs et 24 % des chefs d’exploitation). Conséquence, celles-ci vieillissent, et plus vite que leurs homologues masculins. Une exploitante sur cinq est aujourd’hui âgée de plus de 60 ans (contre 12 % chez les hommes) et seulement 17 % ont moins de 40 ans. Au ministre d’en déduire, « le défi du renouvellement des générations ne pourra se faire qu'en accompagnant les femmes ».
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Chef d'exploitation, toujours une « vocation d’hommes »

Un autre chiffre, pourtant, rassure autant qu’il interroge. Les filles représentent un peu moins de la moitié des effectifs des établissements agricoles (45 %). « C’est un trompe-l’oeil », avance Agnès Terrieux, maître de conférences en Géographie à l’ENFSEA de Toulouse, constatant que nombre d’étudiantes des filières agricoles ne se destinent pas à l’installation, mais plutôt aux métiers des services aux personnes et aux territoires ou aux filières équines par exemple. C’était le cas de Justine Fusi, élue JA national aujourd’hui à la tête d’un élevage de 60 vaches laitières en Haute-Savoie, qui rêvait, en passionnée de chevaux, de la filière vétérinaire. « Après mon bac général, je voulais intégrer une prépa véto puis j’ai essayé par le biais d’un BTS production animale », détaille l’agricultrice de 32 ans.

Également passée par un bac général, Manon Pisani, elle, n’a pas vraiment eu le choix.  « Mes parents ont refusé que je fasse un lycée agricole, rebelote au moment du BTS. Ils ne voulaient pas que je galère », conclut la jeune femme, contrainte de suivre une licence de droit avant de repartir sur un BTS Acse. L’idée qu’agriculteur est un métier d’homme est encore tenace, à l’école, dans les familles, mais aussi dans la tête des filles. Pour Agnès Terrieux, c’est le résultat d’un long processus, d’abord d’invisibilisation puis de déféminisation du secteur, amorcé dans les années 1950, notamment par la mécanisation. « On a poussé les filles à quitter les fermes. On les a dirigées vers la petite industrie ou le travail de bureau, utile pour gérer l’administratif de l’exploitation par exemple ».

Une installation retardée, mais des agricultrices mieux formées

Résultat, « celles qui s’installent sont plus diplômées, analyse la chercheuse. Au contraire des hommes, qui s’installent plus tôt, souvent en reproduction d’un modèle familial, les filles font leurs études et reviennent plus tard ». Un constat partagé par Manon : « Les garçons, ils veulent souvent s’installer le plus vite possible, acheter un gros tracteur, sourit-elle. Nous, on réfléchit plus à notre projet ». Malgré la préparation, l’installation reste toujours un choix difficile, peut-être davantage lorsqu’on est une femme. Justine s’est associée avec son conjoint et sa belle-mère, « plus rassurant, surtout quand on a une famille à charge », confie-t-elle, même si l’idée de se lancer seule ne lui faisait pas peur.

Banques frileuses à prêter à une femme, propriétaires refusant de vendre à une agricultrice, Manon écoute les mises en garde des aînées , mais pour l’instant, « sur le terrain, ces freins, je ne les ai pas vus. Et puis si on me dit que ce n’est pas possible, je suis plutôt du style à me dire : ‘je vais oser !’ ». « Je confirme, elles tentent », renchérit Agnès Terrieux. Parce que certaines désirent démontrer leurs compétences acquises, être à la hauteur, la géographe observe un certain élan d’innovation chez les jeunes cheffes d’exploitation. « C’est du succès économique des agricultrices nouvellement installées que dépendent les futures vocations. Leur réussite créera un effet de contagion », conclut la géographe.