Sur le terrain

Pierre Collombert, le photographe emblématique du JA mag

Pendant près de 30 ans, Pierre Collombert a été le photographe attitré du JA mag. En parcourant les quatre coins de France à la rencontre des jeunes agriculteurs et agricultrices, il a su, avec son objectif, mettre en lumière ces hommes et ces femmes qui travaillent le plus souvent dans l’ombre. Agé aujourd’hui de 89 ans, il a accepté de nous accorder une interview exclusive chez lui, au milieu de ses innombrables photos d’archives. C’est donc bien installé que l’on a pris plaisir à écouter Pierre raconter sa vie de passionné en grande partie dévouée au monde agricole.

Pierre Collombert tient dans ses mains le JA mag n°786, trimestriel de juin-juillet-août 2023 portant sur le congrès JA tenu à Saint-Malo.

Le temps est menaçant en ce lundi après-midi de la fin du mois de juillet. Une journée typique où l’on se verrait bien rester chez soi à se préparer un bon café et à feuilleter de vieux albums de famille. C’est exactement ce que je m’apprête à faire en rencontrant Pierre Collombert, le photographe historique du JA mag pendant près de trois décennies !

C’est dans son sous-sol que Pierre me reçoit. Un garage spacieux où trône fièrement un vélo de route, son autre passion. Au fond de la pièce, une porte laisse entrevoir un bureau. « Ici c’est l’antre du photographe ! », s'exclame Pierre avec fierté. Au mur, des photographies en noir et blanc, et sur les étagères, de nombreux livres sur l’agriculture cohabitent avec d’anciens négatifs, tous annotés : agricultrices, ovins, céréales, Jeunes Agriculteurs … « Je suis en train de faire le tri de mes clichés pour les envoyer à la bibliothèque internationale contemporaine de Nanterre. C’est un sacré travail ! », lance Pierre, toujours un projet en cours.

Du maraîchage à la photographie

Né le 4 janvier 1934, Pierre Collombert ne se destinait pourtant pas à la photographie. « Au début de ma vie professionnelle, j’étais maraîcher en Savoie avec mon frère », se souvient-il. À cette même période, il adhère au mouvement de la Jeunesse agricole catholique (JAC) et commence à explorer le monde de l’image. « La JAC cherchait quelqu’un pour mettre en relation les ciné-clubs en milieu rural. Moi qui aimais beaucoup le cinéma, j’ai postulé et j’ai été pris. Pour ce poste, je suis monté à Paris y vivre quatre années. J’ai quitté le maraîchage sans regret. Sur nos terres, il était difficile de faire pousser quoi que ce soit. Nous étions sur d’anciens lits de rivières et avions des gros problèmes d’irrigation. » Grâce aux ciné-clubs, l’univers de l’image s’ouvre à Pierre. « C’est là que j’ai découvert les westerns. Si l’histoire parfois ne me passionnait guère, je m’étais pris de passion pour les plans spéciaux. Ça a eu une très grande influence sur mes photos par la suite. » Cette première expérience l’amènera à participer au congrès mondial de la JAC qui s’est tenu à Lourdes en 1960. « Nous devions réaliser un documentaire sur l’événement », se remémore Pierre.

C’est précisément à cette période qu’il décide de se consacrer à la photographie, une passion qui ne le lâchera plus. Dès 1965, celui qui n’est pas encore photographe professionnel fait le tour des rédactions pour vendre ses clichés. Il passe ainsi par le 14 rue de la Boétie (siège historique de Jeunes Agriculteurs) en 1966, où il rencontre le rédacteur en chef du JA mag de l’époque : Jean Magimel. « J’ai pu présenter quelques photos à Jean. Il m’a répondu qu’on pourrait travailler ensemble, mais je n’ai jamais eu de nouvelles. » Si certaines portes restent fermées, Pierre persiste et finit par collaborer avec plusieurs supports tels que La Tribune socialiste, hebdomadaire édité par le Parti socialiste unifié (PSU). « Toutes les semaines, j’avais deux ou trois photos publiées. C’était un premier pas dans le métier. Cette période m’a vraiment donné envie d’en faire mon activité principale. » En parallèle de ce journal, il travaille aussi avec Gilles Martinet, rédacteur en chef de France observateur, ancêtre de L’Obs.

Pierre Collombert continue de conserver soigneusement plusieurs appareils photo, toujours en état de marche.

 « Sans ce trajet de cinq étages, je n’aurai pas fait tout ce que j’ai fait avec Jeunes Agriculteurs ! »

« Un jour où je me rendais au siège de France Observateur, je suis tombé par hasard sur Jean Magimel devant les portes de l’ascenseur. Nous avions cinq étages à faire ensemble. Durant ce court trajet, il m’a dit de passer le voir pour travailler ensemble », témoigne Pierre. Une rencontre fortuite qui marquera un tournant dans sa carrière. « Sans ce trajet de cinq étages, je n’aurai pas fait tout ce que j’ai fait avec Jeunes Agriculteurs. Ceux qui connaissent « Magi » savent qu’il n’était pas du genre à décrocher son téléphone pour me dire « viens me voir ». » Pierre attend deux mois avant de se rendre, en janvier 1968, au siège de Jeunes Agriculteurs. « Le JA mag cherchait bien un photographe. Après avoir fait des essais avec deux ou trois, Jean Magimel, qui lisait La Tribune socialiste, a décidé de me donner une chance », se rappelle non sans un brin de nostalgie Pierre, avant d’ajouter avec humour : « Il faut dire aussi que niveau salaire, j’étais un peu moins gourmand que les autres ! »

Une vie à sillonner la France rurale

Une photo de Pierre Collombert qui date des années 70, marquant ses débuts à JA.

Cet autodidacte de la photographie découvre la campagne pour nouveau terrain de jeu à partir de mars 1968. « À l’époque, nous partions à deux pour faire les reportages : un photographe et un journaliste. Nous étions envoyés en plein milieu des champs, je n’ai pas souvent vu la ville lors de mes déplacements ! C’est ça ce que je préférais. » Ayant été lui-même agriculteur dans sa jeunesse, Pierre n’est pas dépaysé, bien au contraire. « Quand j’allais en reportage, je parlais beaucoup avec les agriculteurs, ils voyaient que j’étais un vrai connaisseur. » Durant ces années passées à Jeunes Agriculteurs, il parcourt la France entière. « J’ai réalisé une carte sur laquelle j’ai épinglé tous les reportages réalisés. En 30 ans, j’en ai fait des trajets en voiture et en train ! », lance Pierre qui se souvient de ses 500 reportages comme si c’était hier. Date, lieu, nom, prénom, filière, il est capable de ressortir le moindre détail de ses clichés, ainsi que les anecdotes qui vont avec ! « Sur cette photo [cf visuel intitulé « JA à Bruxelles »], les Jeunes Agriculteurs arrivent à Bruxelles où ils sont accueillis par François Mitterrand après avoir marché depuis le salon de l’Agriculture. Avec un journaliste nous les avions suivis, l’ambiance était telle qu’à la fin nous n’étions plus du JA mag, mais des agriculteurs à part entière (rires) ! »

Pierre vérifie « à l’oreille » que son appareil fonctionne bien. Résultat concluant pour cette fois !

« Ce n’est pas l’appareil qui fait tout, mais l’œil qu’il y a derrière ! »

Dans son bureau, Pierre prend plaisir à faire défiler ses photos en noir en blanc sur l’ordinateur. Sur les clichés, des hommes et des femmes dans les champs, sur des tracteurs, avec des bêtes, chez eux… de véritables tableaux vivants saisis par son œil vif et aiguisé. « Sur certaines images, on peut vraiment voir l’influence des westerns », relève-t-il. Quand on lui demande sa recette pour une photo réussie, il répond limpide : « Le secret d’un beau cliché c’est la lumière. Il faut bien comprendre qu’à l’époque nous ne pouvions pas regarder directement le résultat, il fallait attendre le tirage et souvent, nous avions de mauvaises surprises. Ensuite le cadrage et la mise en scène sont deux choses importantes. Pour finir, il faut bien avoir à l’esprit que ce n’est pas l’appareil qui fait tout, mais l’œil qu’il y a derrière. »
Passionné et perfectionniste, Pierre a créé son propre laboratoire photo dès qu’il s’est installé à Ecquevilly dans les Yvelines en 1971. Cela lui a permis de se rendre compte plus vite si les images étaient de qualité suffisante. « J’ai toujours pris le parti de photographier à faible vitesse. Cette technique m’a permis d’avoir un maximum de lumière même dans des endroits sombres comme lors des congrès. »

Reconnu pour la qualité de son travail et son grand professionnalisme, Pierre Collombert a eu l’occasion d’exposer son travail à plusieurs reprises durant sa carrière. Il a également illustré de nombreux livres dont l’ouvrage Paysans nos racines et Paysans, ce dernier préfacé par Jean-Pierre Coffe, fameux critique gastronomique et amoureux invétéré du monde rural. Pierre a même offert un livre à Jacques Chirac lors du salon de l’Agriculture à l’époque où il en était le ministre.

Si aujourd’hui Pierre n’a plus remis l’œil dans le viseur de son appareil photo, il restera à jamais le regard du JA mag. Pendant près de 30 ans, il aura immortalisé des hommes et des femmes passionnés par leur métier. En projetant la lumière sur eux, il aura su mettre en image l’histoire de l’agriculture, un secteur qu’il a toujours chéri.

Pierre Collombert.