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Miser sur la fertilisation acquise pour sortir de la dépendance aux engrais minéraux phosphatés

Non renouvelable donc limitée, la ressource en roches phosphatées, qui permet de fabriquer les engrais minéraux phosphatés, doit plus que jamais être utilisée à bon escient. En Europe, la préservation et la valorisation de la fertilité, acquise par des décennies d’utilisation de ces engrais, pourrait permettre de diminuer massivement leur usage, à condition de respecter certaines pratiques culturales.   

Crédit photo : bildlove

L’usage des engrais minéraux phosphatés à partir des années 1950 a permis d’accroître considérablement les rendements agricoles grâce à l’augmentation de la disponibilité en phosphore des sols. Mais la fabrication de ces engrais dépend des roches phosphatées, une ressource minière non renouvelable qui selon les estimations scientifiques devrait se tarir d’ici quelques centaines d’années. Par ailleurs, un pic d’extraction de ces roches risque d’être atteint vers le milieu du siècle, annonciateur d’une probable augmentation du prix de ces engrais.

S’extraire de la dépendance aux engrais minéraux phosphatés

Or la dépendance du monde agricole à ces engrais minéraux phosphatés ne fait plus aucun doute. Une étude de l’Inrae publiée le 5 janvier 2023 dans la revue Nature Geoscience indique que la moitié du phosphore disponible des sols agricoles à l’échelle mondiale provient de ces engrais. Ces résultats sont d’autant plus frappants en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord et en Asie où 60 % du phosphore disponible des sols provient des engrais minéraux phosphatés (contre 30 % dans les pays d’Afrique et d’Océanie). Comment sortir de cette dépendance et éviter aux agriculteurs une déroute le jour où ils n’auront plus accès aux engrais, faute de moyens ou de disponibilité de la ressource ?

Miser sur la fertilisation acquise

Des efforts ont déjà été entrepris, et il est vrai qu’en France l’utilisation des engrais minéraux phosphatés a bien chuté depuis les années 1970. « Aujourd’hui, on utilise environ quatre fois moins d’engrais minéraux phosphatés que dans les années 1970/1980 », souligne Joséphine Demay, doctorante à l’Inrae et coauteur de l’étude.

Mais viendra le jour où il faudra totalement s’en passer, et c’est pourquoi les efforts de réduction doivent se poursuivre. La bonne nouvelle, c’est que toutes ces années de fertilisation ont permis d’obtenir ce que les auteurs appellent la « fertilité acquise ». « Si à partir de demain on arrêtait d’utiliser des engrais minéraux phosphatés en France, il y aurait assez de phosphore dans les sols pour maintenir les rendements pendant 60 ans », illustre Joséphine Demay. Tout l’enjeu est maintenant de réussir à « protéger et valoriser cette fertilité acquise ». Cela passe par exemple par la diminution de l’érosion des sols via la plantation de haies ou la mise en place de couverts végétaux, ou encore le retour au sol des effluents d’élevage et urbains. Certaines espèces cultivées ayant la capacité de mieux mobiliser le phosphore du sol – c’est le cas du lupin blanc ou du sarrasin – pourraient également être ajoutées à la rotation afin d’augmenter la disponibilité en phosphore pour les cultures suivantes. 

Une répartition plus équitable de la ressource

Aujourd’hui, la ressource en roches phosphatées, dont les jours sont comptés, doit plus que jamais être utilisée à bon escient. Les auteurs de l’étude plaident pour une meilleure répartition de son exploitation à l’échelle mondiale. Les grands lésés dans l’histoire sont notamment les pays d’Afrique qui, au cours de leur développement, n’ont que peu bénéficié de cette ressource. « Or, quand on y pense, cette répartition est illogique, car en Europe nous avions déjà initialement des sols plus riches en phosphore qu’en Afrique ou en Amérique du Sud », explique Joséphine Demay. Dans un objectif d’assurer la sécurité alimentaire mondiale, il serait pertinent de rediriger la ressource vers les pays qui en ont actuellement le plus besoin et où l’apport d’engrais minéraux contribuerait significativement à augmenter les rendements agricoles, concluent les auteurs de l’étude.