Sur le terrain

Marine Rozière, une amoureuse de son ter-riz-toire

Marine Rozière, 33 ans, perpétue un savoir-faire emblématique de la Camargue : la riziculture. En créant la « maison du riz », un musée original entièrement dédié à la céréale, elle partage aux visiteurs son amour qu’elle porte à son territoire et ses traditions.

Marine Rozière dans sa Camargue natale.
Taureaux et chevaux sauvages.

C’est en plein cœur de la Camargue, au bord du « petit Rhône » et loin du tumulte de la ville que se trouve le « mas de la vigne », du nom de l’exploitation agricole, typique du sud-est de la France, qui appartient à la famille Rozière depuis 28 ans. À l’image des autres « mas », nombreux dans le paysage camarguais, celui des Rozière est encerclé de rizières et de petits bois. Mais la ressemblance s’arrête là, car sa différence saute aux yeux dès l’entrée : des flèches, un parking visiteur, des camping-cars et une grande affiche indiquant « maison du riz ». Un musée construit en l’honneur de la céréale qui trône à l’entrée de l’exploitation, dans un ancien hangar que l’on devine refait à neuf. Inauguré en 2015, il reçoit en moyenne 25 000 visiteurs par an. Marine Rozière en est la guide.

C’est par le biais de ce musée qu’elle aime conter l’histoire de sa famille, intimement liée à la culture du riz. « Avec mon frère, Jean-Philippe, nous sommes la sixième génération de riziculteurs ! », souligne Marine.

L’aventure des Rozière au « mas des vignes » débute en 1995. « Nos parents, Jacques et Françoise, se sont installés ici en tant que jeunes agriculteurs. Au début, ils possédaient 120 hectares et les bâtiments actuels. Petit à petit, ils ont chacun récupérer des terres provenant des deux côtés de la famille, et ils se sont agrandis », raconte la jeune femme.
En 2015, partie d’une idée de Marine, la maison pédagogique voit le jour. Depuis, les rôles sont bien repartis : « Mon frère s’occupe de la partie agricole avec son employé. Je gère de mon côté la commercialisation et les visites des touristes de la « maison du riz ». Quant à nos parents, nous essayons de les pousser vers la retraite (rires) ! ». En parallèle de ces activités, le domaine fait également office de gîte, pour celles et ceux qui souhaitent vivre l’expérience d’une immersion totale dans l’élevage du riz camarguais.

Une culture du savoir-faire

Rizière en eau. (c)Paul/Adobstock

Car oui, en Camargue on ne parle pas de culture, mais bien d’élevage du riz ! « À l’instar des animaux, il doit lui aussi être suivi de près. Nous sommes auprès de lui matin, midi et soir, pour nous assurer qu’il va bien », explique la JA. Cette plante tropicale et aquatique, bien connue en Asie, pousse dans l’Hexagone essentiellement en Camargue. Le climat méditerranéen et la présence du bras du Rhône garantissent l’irrigation de la céréale. Mais cela ne fait pas tout, la riziculture nécessite un savoir-faire bien particulier. « À l’image des autres agriculteurs, nous réalisons un travail de la terre. Nous avons la particularité de devoir la niveler. En effet, si le riz se retrouve sur une bosse il manquerait d’eau, et à l’inverse, il en aurait trop dans un creux », éclaire Marine. Et même si le climat est propice, il a le désavantage de créer des ondulations dans les champs. Le mistral et l’eau en sont les principales causes. Cette partie très technique et primordiale est réalisée à l’aide d’un laser et une lame de nivellement.
« Après avoir accompli cette préparation, la graine est semée au mois de mai. Nous attendons que le climat soit chaud et stable pour la simple raison qu’en dessous de 13°C, le riz ne se développe plus. Sa récolte s’effectue entre septembre et novembre. » Vous l’aurez compris, le riz est à manier avec tendresse et affection.

Le partage d’une passion et la passion de partager

Maine Rozière fait visiter "la maison du riz".

Ce savoir-faire, Marine prend plaisir à le partager dans l’enceinte de la maison pédagogique. « Sur les 25 000 visiteurs, nous recevons essentiellement des scolaires. C’est dès le plus jeune âge qu’il faut apprendre à bien manger français ! » s’enthousiasme la rizicultrice.
Dès l’entrée dans l’ancien hangar, en lettres noires sur un mur blanc, une phrase accueille le visiteur : « Nos racines camarguaises nous unissent à cette terre et à son histoire. Notre avenir se construit sur les fondations que nos ancêtres ont bâties. Ainsi, rien n’est le fruit du hasard, tout a du sens et un ordre. Il nous suffit d’ouvrir les yeux. Alors le mot avenir devient espoir. » Cette citation, signée Marine, finit de prouver l’amour qu’elle porte à son territoire et à sa passion pour le métier de riziculteur.

 

Lorsque l’on franchit les portes de la maison pédagogique dévouée au riz, on découvre de nombreux panneaux explicatifs : histoire du riz, de ses différentes variétés…On sent que la famille Rozière y a passé du temps pour expliquer au mieux cette culture, fierté de la Camargue. D’anciennes machines se dressent tout au long du parcours. Elles rappellent l’héritage d’un passé consacré à cet élevage. En poursuivant la visite, les curieux sont invités à s’installer devant une large télévision qui diffuse de nombreux reportages consacrés aux membres de la famille. Sur l’une des vidéos, le père, Jacques, clame haut et fort : « Tout comme le riz, je j’ai poussé les pieds dans l’eau et la tête au soleil ! »
Ce jour-là, un couple de visiteurs retraités reste bouche bée. « Nous ne pensions pas qu’il y avait autant de paramètres à prendre en compte dans la culture du riz ! »
Et comme une démonstration vaut mieux que mille mots, Marine a tout prévu. Au milieu de la grande pièce trône une décortiqueuse. « Cette machine permet de récupérer le riz complet à partir du riz brut, aussi appelé riz « paddy » », expose-t-elle. Dans un vacarme assourdissant, la machine est mise en route.
Une fois le tumulte retombé, la visite continue vers la boutique située à l’entrée du bâtiment, passage obligé à celui qui souhaiterait ramener un « bout de Camargue » dans ses valises. Les étagères y sont remplies de produits exclusivement issus de la région. La gamme de riz de la famille y côtoie la fleur de sel de Camargue, le saucisson de taureau AOP de Camargue et des huiles d’olive. Marine en profite pour livrer sa recette de l’agriade Saint-Gilles, héritée de sa grand-mère.
Et en guise de fin de parcours, elle propose aux curieux de sortir faire le tour des rizières en longeant le Rhône.  

Un territoire unique et fragile

Riz prêt à être récolté.

« Sans l’élevage du riz, la terre serait un désert de sel »

L’occasion pour les visiteurs de découvrir un paysage façonné par l’agriculture. « Il faut bien comprendre que depuis l’endiguement du Rhône, la Camargue actuelle est entièrement artificielle. Avant cette opération, le fleuve débordait chaque hiver et inondait l’ensemble du territoire », rappelle Marine. La riziculture y joue un rôle crucial, car c’est elle qui maintient la fertilité des sols. L’eau douce drainée par le Rhône dans la rizière permet de repousser le sel venant de la nappe phréatique camarguaise. « Ici nous sommes à 80 cm en dessous du niveau de la mer. Sans l’élevage du riz, la terre serait un désert de sel », poursuit-elle. Pour ce faire, ce sont près de 500 millions de m³ d’eau qui sont prélevés annuellement dans le Rhône. Des volumes rendus ensuite au fleuve via les marais ou directement dans la nappe phréatique.
Si la salinité des sols est une problématique maîtrisée, on ne peut pas en dire autant des flamants roses. « Nous sommes embêtés par leur présence. La nuit, ils se déplacent par centaines pour venir manger nos pousses », se désole Marine. Ces oiseaux, appréciés des touristes, constituent une vraie menace pour les rizières. Pour les effaroucher, les agriculteurs de la région utilisent de puissantes lampes torches.

En Camargue, le riz, fierté de tout un peuple, a façonné aussi bien ses habitants que son paysage, uniques à bien des égards. Les 160 riziculteurs camarguais qui l’élèvent perpétuent un savoir-faire et une tradition transmis génération après génération. Sa culture va bien au-delà du simple folklore régional, elle s’avère indispensable à la préservation de ce fragile écosystème.

Le saviez-vous ?

Le riz est la céréale la plus consommée dans le monde. (Source : Samae 2022)

Le riz camarguais représente près de 30 % de la consommation annuelle française.  (Source : Samae 2022)

Avec la variété giano, la famille Rozière cultive le dernier riz naturellement parfumé de Camargue.