Politique et société

Loi Contraintes : levier de colère dans les rangs agricoles

Depuis son examen en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire le 6 mai 2025, la proposition visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, dite « Loi Contraintes », cristallise les tensions entre le législateur et le monde agricole. Entre la volonté de « lever les contraintes » pesant sur les agriculteurs  et les craintes d’un affaiblissement des normes environnementales, les syndicats ont sonné la mobilisation.

Mobilisation nationale dès le 26 mai partout en France.

Déposée au Sénat le 1ᵉʳ novembre 2024 par les sénateurs Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (UC), la proposition de « Loi Contraintes » répond aux obstacles réglementaires que les auteurs estiment peser sur l’agriculture française. Adopté en première lecture au Sénat le 27 janvier 2025, le texte a ensuite été transmis à l’Assemblée nationale. Présentée par Julien Dive (LR), rapporteur de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, comme une « brique qui vient compléter le mur de la loi d’orientation agricole (LOA) », la proposition de loi a entamé son parcours à l’Assemblée le 6 mai 2025, lors de son examen en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, avant d’être examinée en commission des affaires économiques.

Des mesures phares retoquées, une colère syndicale

Au cœur de la fronde, la suppression en commission du développement durable d’un grand nombre d’articles, dont l’article 5, qui visait à reconnaître les ouvrages de stockage d’eau à finalité agricole comme « d'intérêt général majeur ». Ce dispositif permettrait de sécuriser l’accès à l’eau pour les élevages ou de simplifier les démarches administratives dans les zones humides fortement modifiées. Toutefois, le texte initial a été perçu comme un « cheval de Troie pour affaiblir nos exigences environnementales » par la rapporteure de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Sandrine Le Feur (EPR).

Des mobilisations prévues, notamment à Paris

Immédiatement, le 7 mai, Jeunes Agriculteurs et la FNSEA ont dénoncé une « trahison » après la censure de la proposition de loi Contraintes par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Ils ont appelé leurs réseaux à rencontrer les députés et ont envisagé des actions syndicales si les mesures initiales n'étaient pas rétablies. Le 15 mai, les deux syndicats ont réitéré leur appel à la mobilisation. Ils ont annoncé : « À partir du 26 mai, date de l’examen en séance publique à l’Assemblée nationale, des actions de mobilisation seront menées sur tout le territoire, notamment à Paris, pour rappeler que les agriculteurs ne veulent ni privilèges ni traitement de faveur, mais simplement le droit de produire, de transmettre et de vivre de leur travail. » Cette volte-face parlementaire a ravivé le sentiment d’incompréhension et d’injustice parmi les agriculteurs, renforçant leur détermination à se faire entendre.

Conséquences et attentes des syndicats

Depuis les mobilisations historiques du printemps 2024, les agriculteurs exigent une loi de simplification visant à « redonner de l’espoir » et à restaurer leur compétitivité. La FNSEA et JA insistent pour que soient rétablis : le stockage de l’eau comme intérêt général (article 5), le réexamen des décisions de l’Anses concernant les produits phytopharmaceutiques (article 2), ainsi que la mise en place de seuils d'ICPE adaptés à l’élevage (article 3). Ils plaident pour des solutions « techniquement efficaces, économiquement viables et respectueuses de l’environnement », afin d’assurer un approvisionnement national de qualité face aux importations.

À la croisée des chemins entre souveraineté alimentaire et exigences environnementales, la loi Contraintes demeure un thermomètre de la fracture entre les réalités agricoles et la réglementation. Les prochains votes détermineront si ce texte sera perçu comme un remède salvateur pour lever les contraintes ou comme une aggravation des contraintes existantes. Parallèlement, la ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Annie Genevard, devrait prendre la parole lors du congrès des Jeunes Agriculteurs à Auch (3-5 juin).

Loi Contraintes : enjeux techniques et environnementaux

Article 2 : simplification de la vie des agriculteurs

Dans son article 2, la loi permet d’accélérer les procédures d’autorisation des produits phytosanitaires pour les filières connaissant des impasses techniques et revient sur des surtranspositions françaises incompréhensibles. Cet article, très attendu par le monde agricole, vise à améliorer la procédure d’autorisation des produits phytosanitaires pour sortir de situations d’impasse technique et permet d’amoindrir les distorsions de concurrence au sein même du marché commun européen. « Cette disposition est une nécessité absolue pour les agriculteurs », annoncent les syndicats JA et FNSEA.

Article 3 : assouplissement des ICPE

Dans son article 3, la loi pourrait permettre d’engager enfin une réelle simplification en matière d’instruction des projets de bâtiments d’élevage. Cet article, pas encore satisfaisant en l’état, pourrait conduire à des simplifications majeures du régime français des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), bénéficiant aux bâtiments d'élevage.  Les syndicats JA et FNSEA souhaitent « aller au-delà et revenir plus largement sur cette nouvelle procédure dite « industrie verte » qui a été instaurée sans aucune concertation avec les agriculteurs et est décorrélée de leur réalité ».

Article 4 : recours sur l’assurance prairie
L’article 4, qui visait à réformer la procédure de recours des éleveurs en cas de contestation des évaluations de pertes sur prairies – aujourd’hui fondées sur des indices satellitaires – n’a pas fait l’objet de débat. Portée par les syndicats, les assureurs et les éleveurs, la proposition entendait réduire le délai de réponse de l’administration à trois mois, intégrer des données de terrain (fermes de référence, observatoire de la pousse de l’herbe) et permettre une indemnisation en cas d’erreur manifeste ou non. Les syndicats soutiennent cette réforme, en y voyant un moyen d’améliorer la fiabilité et l’équité du système assurantiel.

Article 5 : stockage d’eau et intérêt général
La loi Contraintes dans son article 5, visait à reconnaître les ouvrages de stockage d’eau comme d’intérêt général majeur dans les zones en déficit hydrique. Il devait faciliter la création de retenues, à condition qu’elles s’inscrivent dans une démarche territoriale concertée et qu’elles s’accompagnent d’engagements en faveur d’une gestion économe de la ressource. Jeunes Agriculteurs et FNSEA partagent ces objectifs, tout en proposant « des clarifications et des renforcements concrets à travers des propositions d’amendements ».