Politique et société

Le gibier qui prolifère fait des ravages !

En Seine-Maritime, dans l’Essonne, le Rhône ou le Loir-et-Cher, la prolifération des sangliers met à mal les exploitations agricoles. Des jeunes agriculteurs partagent leurs expériences : dégâts sur les cultures, stratégies de défense et appels à une régulation plus efficace.

Dégâts constatés sur une parcelle de maïs.

En périphérie urbaine ou à l’orée des bois, ces dégâts se multiplient et affectent cultures et prairies.  « Ça fait quatre ou cinq ans que la situation a empiré : on subit des dégâts chaque année, même dans des cultures comme le blé ou le lin, qui autrefois ne les intéressaient pas », Lucien Puech d’Alissac (76), polyculteur-éleveur à Bois-Guillaume. Installé avec son père et son frère sur 180 ha, Lucien constate depuis des décennies de « grattages » minimes dans ses prairies. « Mais désormais, précise-t-il, une parcelle de 2,5 ha a été totalement décimée trois années de suite. » Pour limiter les incursions, il a multiplié les clôtures électriques et participe à des battues hors saison. « Les cages et les clôtures aident, mais dès qu’ils percent une brèche, les sangliers restent piégés… alors, ça ne résout pas tout. »

« On chasse presque chaque week-end »

« C’est toute l’année qu’on les voit dans le maïs et les prairies ; on déclare quatre à cinq battues par an et on chasse presque chaque week-end avant l’ouverture », Arnaud Gilles (38 ans), polyculteur-éleveur à Fourneville (76). Arrivé il y a deux ans sur la ferme principale, Arnaud déplore des intrusions constantes : « Mes chiens servent surtout à les effrayer, mais sans régulation plus forte, ça ne suffit pas.» Pour lui, il faut que  « ceux qui freinent la chasse comprennent qu’on n’a plus le choix ; il faut taper là où ça fait mal, c’est-à-dire réguler réellement la population. »

Le « coup de nez » ruine les semis

« Quand je reviens le lendemain matin, mon semis de blé est déjà ravagé : ils cherchent des vers de terre et retournent tout le sol ; sans compter que les trous se remplissent de mauvaises herbes », Victor Rabier (35 ans), céréalier diversifié à Pussay (91). Victor cultive blé, colza, pommes de terre et légumes de plein champ : « Il y a dix ans, les dégâts étaient anecdotiques. Aujourd’hui, sur 17 ha semés, j’ai perdu 5 ha rien que cette année : 2 500 € de semences envolées. » Et, les parcelles sont de plus en plus touchées à entendre Quentin Cordier, producteur laitier à Joux. « Sur mon exploitation, il y a des années où c’est sur un ou deux hectares, et l’année dernière, c’est le double, à peu près 8 ha. Un voisin a subi 13 ha. » Pour riposter, il fait des demandes permanentes d’autorisation de tir, de jour ou de nuit : « Les lieutenants de louveterie mènent des actions nocturnes avec des lunettes thermiques, et j’ai installé des clôtures électriques et des couverts pour concentrer les sangliers. On peut en prélever jusqu’à 70 lors des ensilages. »

Parcelle dévastée : les sangliers retournent le sol à la recherche de vers de terre, laissant derrière eux un terrain propice aux mauvaises herbes.
Parcelle dévastée : les sangliers retournent le sol à la recherche de vers de terre, laissant derrière eux un terrain propice aux mauvaises herbes.

« Les cerfs et chevreuils s’invitent aussi »

« En 15 jours, ils m’ont détruit 3 ha de maïs ; et sur mes vignes, ce sont les chevreuils qui font des ravages », Reynald Drucy, céréalier-viticulteur à Montrichard (41). Installé en 2018, Reynald a doublé ses surfaces et irrigue trois quart de ses parcelles : « Mettre des clôtures, c’est long et compliqué avec l’eau. Pour les cerfs et les chevreuils, je demande davantage de bracelets. Pour moi le but de ces demandes serait de réguler ces dégâts. »

« J’ai appris à conduire pour poser les clôtures »

« Ça fait 32 ans qu’on a des dégâts. J’ai appris à conduire la voiture pour poser les clôtures, en suivant mon père…, Manon Durand, polycultrice-éleveuse à Le Montellier dans le département de l'Ain. En 2021, la perte a atteint 70 % sur une de nos parcelles de 5 ha de maïs (« leur expertise a chiffré 40 %, mais nous, on en a perdu 70 % aux silos ») ». L’attente de Manon, est que « tout le monde nous prenne au sérieux. La chasse est devenue un loisir, pas une régulation efficace. »

Face à l’explosion des populations de grand gibier, les agriculteurs réclament des dispositifs de régulation mieux adaptés : tirs de nuit, extension des périodes de chasse, implication financière des zones non chassées et renforcement du dialogue entre agriculteurs, chasseurs et pouvoirs publics. Sans ces mesures, les parcelles – et les marges – continueront de s’effriter sous les coups de « nez » du gibier.

Encadré – Indemnisation des dégâts de grand gibier

Selon le code de l’environnement, toute demande d’indemnisation pour des dommages causés par les sangliers doit être adressée au fonds départemental de la Fédération des chasseurs. Un estimateur désigné constate « de manière contradictoire » l’ancienneté, la superficie touchée et la perte prévisible, avant que la commission départementale fixe, sous 90 jours, le montant de l’indemnité selon un barème local.
Une Commission nationale, associant l’État, l’Office français de la biodiversité et les représentants agricoles, définit chaque année les fourchettes de valeurs pour les productions et les frais de remise en état.

« L’indemnisation des dégâts représente près de 77 millions d’euros par an, payés intégralement par les chasseurs, alors que 30 % des territoires ne sont pas ou peu chassés »,

souligne Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs. Source : Légifrance