« J’ai vu mon territoire partir en fumée » : dans l’Aude, les vignerons face à l’incendie
Parti le 5 août entre Ribaute et Lagrasse, l’incendie qui a ravagé l’est de l’Aude restera dans les mémoires. Plus de 16 000 hectares ont été parcourus par les flammes, dont 13 000 en seulement deux jours. Un drame humain et agricole : un mort, plusieurs blessés et des vignes détruites. Deux jeunes agriculteurs témoignent.

Mardi 5 août, le département de l’Aude est placé en risque extrême d’incendie, une première depuis 2016. Dans l’après-midi, les flammes se déclenchent entre Ribaute et Lagrasse. Attisées par le vent, elles progressent à une vitesse vertigineuse. « Près de 1 000 hectares à l’heure », décrit Baptiste Cabal, vigneron de 32 ans installé au cœur des Corbières. En quatre jours, le feu dévore collines et vallons. Plus de 16 000 hectares sont parcourus, le bilan humain est lourd : « un décès, plusieurs blessés dont deux graves. L’incendie d’une ampleur exceptionnelle pourrait avoir une cause criminelle résultant d’un acte volontaire », a déclaré le procureur de la République de Montpellier, mercredi 13 août, dans un communiqué. Mais la plaie est aussi agricole, les vignes, ressources vitales du territoire, sont ravagées.
« J’étais pompier avant d’être agriculteur »
Pour Nicolas Tricoire, viticulteur de 28 ans et pompier volontaire depuis quatre ans, l’épreuve a une résonance particulière. « J’étais en vacances dans le Tarn-et-Garonne. Quand j’ai appris que le feu arrivait sur mon secteur, j’ai écourté mon séjour. En arrivant, c’était l’apocalypse. Tout avait brûlé. » Sur ses 20 hectares de vignes, 3,5 hectares sont partiellement consumés et 7,5 hectares contaminés par la fumée. Leur sort dépendra des analyses en cours. « Si les taux sont trop élevés, impossible de vendanger », soupire-t-il. Surtout, Nicolas a vécu l’incendie en première ligne, casque de pompier sur la tête. « Habituellement, on n’intervient pas dans son propre village. Là, j’ai vu mon territoire, celui où j’ai grandi, partir en fumée. Pendant trois jours, je n’ai pas pensé à mes vignes. J’étais pompier avant d’être agriculteur. »

Une récolte menacée sur quarante hectares
Installé depuis 2015, Baptiste Cabal n’a pas été épargné non plus. « Le feu avançait à une vitesse folle. Tout a été ravagé sur son passage. 100 % de mes vendanges ont été souillées par la fumée et quatre hectares brûlés », raconte le viticulteur, amer. La perte est colossale, quarante hectares compromis, soit entre 4 000 et 6 000 euros par hectare. « Si les raisins sont impropres à la vinification, je ne pourrai rien commercialiser », explique-t-il. Et les inquiétudes dépassent la seule année 2025 : « Certaines parcelles ont perdu leurs feuilles. On ne sait pas comment la vigne redémarrera l’an prochain. »

Une solidarité qui panse les plaies
Face à la catastrophe, l’entraide s’organise. Les Jeunes Agriculteurs de l’Occitanie se mobilisent, appels de soutien, collectes de vivres, dons de viande pour nourrir pompiers et sinistrés. « On n’est jamais seul dans ces moments-là », souligne Nicolas, touché par la solidarité des collègues. Les pompiers, eux, se sont battus jour et nuit, mais reconnaissent l’impuissance face à la rapidité des flammes. « Le feu était plus rapide que nous », témoigne Baptiste.
L’attente de réponses

Le désarroi se mêle à l’exaspération. Depuis plus de quinze ans, les syndicats alertent sur la vulnérabilité de l’Aude, territoire aride et exposé aux sécheresses. « Moins il y a d’agriculture, plus le feu progresse vite », rappelle Baptiste Cabal. Il appelle à des projets d’irrigation et de diversification. « Ils coûteront toujours moins cher qu’un incendie évalué à 80 ou 100 millions d’euros. » Nicolas, de son côté, avoue ses doutes. « Beaucoup d’agriculteurs ne se relèveront pas. Peut-être que je serai le premier à jeter l’éponge. Les récoltes sont maigres, le vin ne se vend plus, et les incendies reviennent chaque été. Jusqu’à quand pourra-t-on tenir ? »
« Un désastre agricole et humain »
Dans l’Aude, les stigmates de ce brasier du 5 août resteront visibles longtemps. Des paysages calcinés, des familles endeuillées, des exploitations menacées. La visite des ministres et les promesses d’indemnisation ne suffisent pas à apaiser l’angoisse. Les mots de Nicolas résonnent comme une alerte : « J’ai vu mon territoire partir en fumée. » Un cri de détresse, mais aussi un appel à penser l’avenir d’une agriculture en première ligne face au changement climatique.